RÉCIT – Harcèlement judiciaire, «suicides» douteux, confiscations, le pouvoir russe ne laisse aucun répit aux oligarques qui ne sont pas alignés sur sa politique.
Alexander Subbotin a été retrouvé mort, empoisonné par du venin de crapaud dans la cave d’un chamane qu’il était allé consulter après une soirée trop arrosée, dans la banlieue de Moscou. Le mystérieux décès de cet ancien dirigeant de la compagnie pétrolière russe Lukoil, relaté par le quotidien britannique The Independent, s’ajoute à celui des six milliardaires russes, dont trois anciens responsables du géant Gazprom, qui ont trouvé la mort dans des conditions suspectes et des «suicides» douteux en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février. Tous étaient d’anciens proches du Kremlin.
«Le pays se fissure et tout le monde a peur, notamment les hommes d’affaires, dont beaucoup ont fui la Russie depuis le 24 février. Certains ont participé au système de corruption du régime et facilité le blanchiment d’argent pour le compte de Vladimir Poutine. Le Kremlin cherche sans doute à cacher l’ampleur des crimes et des infractions qu’il a commis ces vingt dernières années. Malheureusement, ce type de choses risque de se reproduire et de s’aggraver dans les mois qui viennent», analyse Sergueï Pougatchev, ancien oligarque devenu un farouche opposant de Vladimir Poutine. L’ex-patron de la banque Mezhprombank, qui contrôlait des chantiers navals à Saint-Pétersbourg et à Kaliningrad et que l’on surnommait à l’époque «le banquier de Poutine», vit à Nice depuis 2015, sous protection policière, et a pris la nationalité française.
Sergueï Pougatchev connaît bien Vladimir Poutine et son premier cercle, celui des «siloviki», les hommes issus de l’ancien KGB et des structures de force. Il a même contribué à son accession au pouvoir, en 2000, puisqu’il l’a présenté à la fille de l’ancien président Boris Eltsine, Tatiana Diatchenko, après sa démission. «À l’époque, il s’agissait d’éviter à tout prix le retour des communistes, qui étaient en embuscade. Poutine paraissait être le meilleur candidat pour le faire. Je pensais, et d’autres avec moi, qu’il n’y avait pas d’alternative. Et que Vladimir Poutine reprendrait à son compte les idées libérales et démocratiques de Boris Eltsine», explique-t-il aujourd’hui.
Sanctions judiciaires
Depuis qu’Igor Setchine, le tout-puissant patron du groupe pétrolier Rosneft, un proche de Vladimir Poutine, lui a confisqué une grande partie de sa fortune, en 2013, et qu’un tribunal moscovite, qui l’accuse d’avoir organisé la «faillite frauduleuse» de sa banque, a ordonné son arrestation, Pougatchev est en conflit ouvert avec l’État russe, à qui il réclame 12 milliards de dollars. Le tribunal de La Haye doit rendre une décision d’arbitrage dans six mois et l’ex-oligarque compte qu’elle soit positive. Il mise sur un changement de régime à Moscou pour pouvoir récupérer sa fortune.
Mais ni la guerre ni les sanctions économiques de l’Occident contre la Russie n’ont ralenti les poursuites judiciaires contre lui. «La justice n’est pas indépendante, mais politique en Russie. J’essaie de prouver que ce n’est pas la justice qui a pris la décision de m’attaquer, mais Vladimir Poutine. Mais les juges européens, qui sont très conservateurs, ne comprennent pas le fonctionnement du régime russe. À Paris, des cabinets d’avocats continuent à travailler pour la Russie et sont payés par des hommes d’affaires qui sont sous sanctions internationales.»
Sergueï Pougatchev approuve les sanctions économiques prises par l’Europe contre la Russie. Mais il estime qu’elles devraient s’étendre au domaine judiciaire. «L’Union européenne devrait déclarer les décisions de la justice russe nulles et non applicables. Car elles sont fabriquées de toutes pièces par Vladimir Poutine», dit-il.
Sergueï Pougatchev ne croit pas à une révolte populaire en Russie, comme celle qui avait fait chuter l’ancien régime ukrainien proche du Kremlin sur la place Maïdan. «Même si tout le peuple russe était enfermé dans un gigantesque goulag, il ne se révolterait pas», déclare-t-il. Il ne croit pas non plus à une révolution de palais, à un putsch ou à une violente rébellion interne contre Vladimir Poutine. Il mise plutôt sur une mise à l’écart, douce et progressive, du président russe.
«Si les choses continuent à se dégrader, si les sanctions économiques s’intensifient et les défaites militaires s’accumulent, et si Vladimir Poutine considère qu’il peut perdre le pouvoir, il pourrait négocier, contre des garanties, une porte de sortie avec l’un des clans de son entourage. Car il craint avant tout pour sa vie et son pouvoir», affirme-t-il. En attendant, la bataille judiciaire continue.