Pourquoi la Banque centrale a-t-elle décidé de refermer une page «collector » de l’histoire de l’Agence d’assurance des dépôts?
La Banque de Russie prépare un projet de loi relatif à l’établissement d’un fonds spécial qui entrera au capital des banques renflouées. La nature du fonds et qui en exercera le contrôle sont encore inconnus. Mais, selon toutes probabilités, il n’aura pas de lien avec l’Agence d’assurance des dépôts (ASV), une entreprise publique très puissante, qui a non seulement joui du monopole de la restructuration bancaire, mais qui est devenue de fait le « servie secret » de la sphère financière. Mélangeant intérêts privés et droit public.
ASV est devenue la première entreprise publique russe (sans parler de Bank Rossii) et ses activités traduisent parfaitement les paradoxes de cette personne morale étrange – une entreprise non commerciale, dotée du droit d’exercer des activités économiques, d’utiliser les biens nationaux et, qui, pour couronner le tout, peut réglementer les activités d’autres acteurs du secteur des affaires.
Une agence extraordinaire
ASV – l’Agence d’assurance des dépôts – a été créée sur les fondations de l’Agence de restructuration de l’organisation du crédit (ARKO). Elle s’est nourrie de toutes les spécificités de ce bureau extrêmement spécifique, fondé au cours d’une période très particulière de l’histoire de la Russie. Le décret de constitution de l’ARKO a été signé par Evgenyi Primakov, le 20 novembre 1998, après la destruction du système bancaire russe en 1998. L’annonce de la situation de cessation de paiement par le pouvoir a servi de couverture pour dissimuler la faillite totale. C’est pour y remédier que l’ARKO a été créée. On peut alors facilement s’imaginer à quel genre de batailles s’est livré sa direction.
A sa naissance, cette structure a été dirigée par Alexandre Tourbanov, un juriste peu expérimenté dans le monde financier, mais doté d’une expérience, elle, très puissante dans les structures du pouvoir. Diplômé en 1971 de l’Institut juridique de Sverdlovsk, Alexandre Tourbanov a, jusqu’au début des années 90, travaillé et étudié au cœur du système du MVD (ex-KGB), qui avait sa propre vision du fonctionnement du monde des affaires et du crédit. Ainsi, il n’est pas étonnant que l’ASV ait hérité de ces principes et agisse de fait comme une organisation spécialisée, non pas tant dans la prévention de la faillite des banques et la perte des actifs des épargnants (en Russie, c’est la Banque centrale qui en est chargée), mais plutôt dans la récupération des « restes ». En d’autres termes, son intérêt est dans « la politique du pire ». Plus les problèmes du système bancaire sont graves, plus les juristes de l’association reçoivent de commandes. En outre, tel que le montre la pratique, l’ASV travaille selon des principes de consulting et d’outsourcing. Ainsi, l’organisme de réglementation des faillites transmet simplement le dossier à des « personnes de confiance » qui occupent des postes dans son « système juridique ». L’AVS finance simplement les « obstacles » de ce genre, tout en couvrant ses arrières. La plus infime des crises financières constitue pour ASV de nouvelles perspectives.
Un réel océan des possibles s’est ouvert à l’ASV lors de la crise financière de 2008. Au plus fort de ces événements, au mois de novembre, la Russie adopte une loi relative à « des mesures supplémentaires de renforcement de la stabilité du système bancaire allant jusqu’au 31 décembre 2011 », qui a, en soi, étendu les possibilités d’action de l’ASV. L’Agence d’assurance des dépôts a alors reçu le droit de rechercher de façon autonome des investisseurs, capables de réaliser une guérison financière des banques. Pour ne pas déroger aux anciennes traditions, cette « loi extraordinaire » a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2014.
Avant l’adoption de la loi, les banques étaient sauvées individuellement, grâce aux relations personnelles.
Ensuite, l’État a créé un mécanisme de sauvetage. Il délègue les prises de décision à une entreprise publique, cette dernière ayant tout droit de disposer du titre pour une effectuer une redistribution d’envergure des biens. Il est de notoriété publique que les banques russes dans leur majorité ne prêtent pas aux grandes entreprises, mais les financent via le contrôle de leurs actifs. Cela permet, d’une part, de baisser la barre en cas d’émission de liquidités et rend les entreprises plus vulnérables en cas d’aggravation de leur situation financière, et d’autre part, cela permet d’extraire des actifs déposés dans la banque et de les vendre rapidement à des tiers. La plupart du temps, ce modèle empêche les créanciers de récupérer leurs actifs en utilisant les procédures légales habituelles. Alors, les juristes d’ASV leur viennent en aide, ils sont prêts à travailler dans des situations particulières. Il est vrai que les experts juridiques dans ce domaine sont rares. Et puis, l’Agence d’assurance des dépôts essaie toujours de collaborer avec le FSB.
FSB + AVS contre VEFK
Après les événements de 2008, la première grande affaire de l’ASV a été la restructuration de la Corporation financière de l’Europe de l’Est (VEFK) – une société de holding dont la structure était complexe et comptant parmi ses membres tant des banques que des sites industriels, dont l’Usine Proletarski. Avant la crise de 2008, la VEFK a accordé à l’Usine Proletarski un crédit d’une valeur totale d’environ 1, 7 milliards de roubles. Les structures de la VEFK contrôlaient alors environ 60 % des actions de l’usine. Après la faillite de la VEFK, les droits afférents à ces crédits ont été transférés à l’ASV. Mais l’usine, alors en faillite, n’était vraiment pas pressée de rembourser ses crédits. Pour ne pas faire faillite de jure, elle a utilisé pour se défendre son statut d’entreprise militaire, remplissant les commandes du Ministère de la Défense. Le statut militaire a entraîné une collaboration logique entre l’ASV et le FSB, qui est devenue par la suite un réel partenariat stratégique.
Les propriétaires de l’usine ont proposé plusieurs idées pour résoudre le problème de la dette. Par exemple, une restructuration de la dette sur 12 ans, ou la cession à l’ASV d’un paquet d’actions minoritaire de l’entreprise. Ces scénarios ont été soutenus par les clients de l’usine, qui ont préparé un projet d’accord d’échelonnement. Ils ont même obtenu le soutien du vice-premier ministre de l’époque, Sergei Ivanov.
Mais, pour l’ASV, l’unique solution était la faillite de l’usine. Les juristes de l’ASV ont entrepris de réaliser ce scénario avec l’aide du FSB. « Nous espérons que grâce à la présence du FSB, la gabegie, telle que celle que nous avons constatée dans VEFK, se sera plus de mise » a déclaré en 2011 Valeryi Mirochnikov « l’éternel adjoint » du directeur général de l’ASV, qui travaille dans cette organisation depuis sa création.
Valeryi Mirochnikov a, de toute évidence, alors mal compris ce à quoi devait se préparer l’usine.
L’ASV a tenté de liquider l’usine, mais à la fin de l’année 2011, elle a intégré la Corporation des chantiers navals unis. Ceci a inversé le mécanisme des comptes financiers. Ainsi, en 2012, les actifs propres (l’actif moins le passif) de l’usine sont passés en négatif (-1,1 milliard de roubles) et après trois trimestres de 2015 ils sont tombés à 1,3 milliard de roubles.
Résultat net de toutes les opérations de délestage de VEFK : l’usine Proletarski doit aujourd’hui 1,7 milliard de roubles à l’ASV. La ronde sans fin des directeurs (le dernier a été remplacé au mois de mai de cette année) et les changements de stratégie illustrent assez bien les résultats de la restructuration menée par l’ASV.
Crise de folie et fuite vers les îles
L’histoire de VEFK n’est qu’un épisode de la collaboration « très riche » entre les deux organisations. Ce système a commencé à se fissurer en 2013. En avril 2013, Vladimir Pronitchev, premier vice-président du FSB, a pris sa retraite après avoir atteint l’âge limite, il était très proche de Youri Isaev, l’actuel directeur de l’ASV.
Il est intéressant de constater que Youri Isaev lui-même est arrivé à la direction de l’ASV peu avant le mois de décembre 2012. Le nouveau directeur a alors annoncé son projet d’étendre les prérogatives de l’Agence d’assurance des dépôts, en y ajoutant le droit de réorganiser et de mettre en liquidation des fonds de pension privés, des assureurs et autres acteurs du marché financier. L’idée était de créer une nouvelle agence tentaculaire de réglementation de dernière instance.
En juin 2013, Dimitri Frolov a été limogé du FSB suite à « une perte de confiance », il s’agissait de l’acteur principal du système bancaire au cœur de l’organisation. Il est apparu que ses intérêts patrimoniaux étaient étroitement liés à des îles situées en Méditerranée.
Il faut changer le système….
Quel est le rapport entre les histoires incendiaires sur la restructuration des banques et autres raids passionnants sur leurs actifs et le système d’assurance des dépôts bancaires ? Des liens financiers. Toutes ces opérations risquées (pour l’État) et intéressantes (pour les personnes privées et autres membres des services « secrets ») sont financées pour le compte des banques d’assurances des dépôts et effectuées au sein du SSV – le Système d’assurance des dépôts, dirigé par l’ASV. En réalité, cette administration devrait être une entreprise d’assurance dotée d’un appareil analytique puissant dans la sphère économique et financière, et non pas une entreprise juridique avec des fonctions de blanchiment. C’est ce qu’il se passe dans les pays dans lesquels il existe des assurances des dépôts.
Les créanciers en dernière instance de cette administration sont les dépositaires – c’est-à-dire, la société civile. Et nous doutons du fait qu’elle souhaite transformer les pools d’assurance en un fonds d’opérations financières risquées. Ces opérations semblent particulièrement étranges dans un contexte d’absence totale de moyens. Au 1er trimestre 2016, l’ASV a réglé à ses dépositaires des remboursements d’assurance de 166,8 milliards de roubles. Alors qu’au cours de cette période, le fonds n’a perçu que 26,2 milliards de roubles, dont des versements d’assurance de banques pour une somme de 21 milliards de roubles et 5,2 milliards de roubles reçus dans le cadre de procédures de liquidations de banques.
Vers la mi-mai, le fonds possédait environ 40 milliards de roubles, dont des règlements de 26,67 milliards et des versements trimestriels de 18,8 milliards
Depuis, plusieurs dizaines de banques ont perdu leur licence et les assurances de dépôts se trouvent aujourd’hui dans une zone à risque pour le système, selon la Banque centrale, sur 77 banques, 72 détiennent une valeur limitée des fonds particuliers et 5 ont un niveau de taux d’intérêts limité. En outre, 8 banques se sont vues interditre de proposer des dépôts à la population.
L’unique moyen de couvrir le déficit reste les crédits auprès de la banque centrale. Pour traduire ceci en langage courant, ceci signifie émettre des liquidités. Dans une telle situation, l’utilisation de, ne serait-ce qu’une partie, de ces moyens dans un objectif de restructuration semble plus qu’étrange. La déclaration de la Banque centrale de priver l’ASV d’une partie de ses fonctions permet simplement d’entériner une situation déjà existante.
La guerre pour « Capital russe »
La tentative actuelle d’extraire la base financière de la sphère d’influence d’ASV est déjà la seconde (connue du grand public). La première est survenue lors de la création d’une grande instance d’assainissement fondée sur « Capital russe » – une banque commerciale classique, assainie en 2009 grâce aux forces de l’ASV et devenue privée à 100 %.
C’est Andrei Kostine, le directeur de la VTB, qui a exprimé cette phrase le 30 mars 2015. « A exprimé » est un mot-valise dans cette phrase, puisque selon Kostine, cette idée « a été extrêmement bien reçue, elle est positive », en ajoutant que cette idée a été reçue positivement par la Banque centrale, mais « il faut néanmoins encore en établir les mécanismes fondamentaux ».
La conception de ces mécanismes, selon l’initiative de Kostine, devait permettre de réaliser un « transfert des actifs à un propriétaire plus efficace ».
En d’autres termes, il s’agit de confier une affaire importante à une banque qui aura conservé son statut quasi public et qui agirait comme une entreprise privée efficace. La recherche d’un tel statut et de telles possibilités représente aujourd’hui le cœur de la stratégie commerciale de tout « directeur ayant une pensée étatique » qui se respecte.
Le fait qu’Andrei Kostine ait rendu public un projet d’affaires en réalité préparé de longue date a été avéré trois mois plus tard. Le 26 juin, on a fait entrer Mikhail Kouzovlev au Conseil d’administration de « Capital russe », il est tout droit sorti du système VTB et a dirigé la « Banque de Moscou » en pleine guerre avec ses anciens propriétaires.
Une semaine plus tard, Kouzovlev occupait déjà le poste de président du directoire de « Capital russe » et s’occupait activement de la construction de ce partenariat public-privé, capable de réaliser le transfert de l’actif à un propriétaire efficace.
Néanmois, deux mois plus tard, Kouzovlev a quitté « Capital russe » avant d’y faire un retour précipité quelques jours plus tard. A la suite de quoi, est intervenue une pause qui se poursuit encore aujourd’hui. La banque a une vie active, si on la considère comme une banque commerciale. Les traces de ses activités d’assainissement dans la sphère bancaire sont encore visibles. En lieu et place de quoi, « Capital russe » s’est concentré sur la réorganisation du groupe « SU-155 ». Il n’est pas exclu, au demeurant, que le Fonds de la banque centrale promis pour la restructuration du système bancaire soit confié précisément à la direction de cette banque « privée ». Mais sa direction sera assurée par VTB et non pas par ASV.
Alexandre Kouzmine
Source : Versia