En guerre contre Vladimir Poutine, Sergueï Pougatchev s’appuie depuis 2015 sur sa nationalité française pour réclamer 12 milliards de dollars à la Russie devant les tribunaux arbitraux. D’après nos informations, l’International Foundation for Better Governance, qui réclame l’annulation de sa naturalisation devant le Conseil d’Etat, est discrètement activée par des proches du Kremlin.
Me François-Henri Briard, l’avocat qui a tenté de faire annuler le décret de naturalisation de l’ex-oligarque russe Sergueï Pougatchev, préfère rester discret sur les états de service et les motivations de son client, l’International Foundation for Better Governance (IFBG). Dans une décision du 29 décembre 2022, la section du contentieux du Conseil d’Etat a sèchement rejeté les demandes de cet « avocat aux Conseils » qui intervient aussi pour Orange, la Fédération nationale des cinémas français et l’Eglise catholique romaine. Plaidant la cause de cette association de droit belge, ce juriste et réserviste de la Marine nationale, dont le cabinet affiche sa proximité de valeurs avec les armées, portait les intérêts d’un lobbyiste britannique de 69 ans dénommé James Wilson. Opérant principalement à Bruxelles, ce mercenaire des affaires publiques, à l’œuvre pour servir les intérêts de la Russie de Vladimir Poutine devant la plus haute juridiction administrative française, est passé maître dans l’art de brouiller les pistes, masquant un intérêt privé derrière la défense d’une noble cause.
En 2009, Sergueï devient Serge
En poursuivant l’ex-banquier du Kremlin, connu en France pour avoir possédé le quotidien France Soir et l’épicerie de luxe Hédiard, James Wilson et l’IFBG prétendent agir contre le pillage des oligarques, dans l’intérêt du peuple. Sergueï Pougatchev, qui partage son temps entre la Côte d’Azur, les Etats-Unis et d’autres pays, est accusé d’avoir mis en scène sa rupture avec Vladimir Poutine dans le seul but de protéger ses intérêts financiers. D’après les informations de La Lettre A, l’identité des cofondateurs de l’association oriente pourtant vers un autre mobile, qui sert plus directement les intérêts de la Fédération de Russie. Outre James Wilson, Gregory Mathieu intervient en Guinée et en Ukraine comme représentant de sa propre ONG, tout en se présentant comme un consultant senior au cabinet d’intelligence économique Kroll. La troisième fondatrice, Nadia Borodi (ou Sass), est l’épouse d’Oleg Volochine, un député ukrainien récemment sanctionné par les Etats-Unis en tant que relais des tentatives de déstabilisation organisées par le Kremlin.
Pour ce trio d’administrateurs, obtenir du Conseil d’Etat l’annulation du décret de naturalisation de Sergueï Pougatchev, devenu Serge Pugachoff en 2009, et le priver ainsi de sa nationalité française, aurait pour conséquence de briser une procédure judiciaire hors normes entamée en 2015. Redevenant simple ressortissant russe, en effet, cet ancien proche de Vladimir Poutine tombé en disgrâce perdrait toute chance d’obtenir le dédommagement qu’il réclame à la suite de l’expropriation de ses actifs, soit environ 12 milliards de dollars. Comme lors de la série d’audiences qui se sont déroulées à La Haye puis Paris depuis huit ans, la nationalité de l’ex-oligarque était au cœur des débats de la dernière procédure d’arbitrage, qui s’est tenue à Madrid. La demande de Sergueï Pougatchev a été jugée irrecevable par le tribunal arbitral en juin 2020. Mais il a toutefois fait appel de cette décision et, ainsi, conserve une chance d’obtenir gain de cause, à condition de protéger sa nationalité française.
Un avocat en vue, des clients dans l’ombre
L’audience devant le Conseil d’Etat, qui s’est tenue le 8 décembre, a confirmé l’opacité des objectifs des dirigeants de l’IFBG. Destinataire des trois mémoires successivement déposés par Me Briard en complément de sa requête, le rapporteur public n’a pu cerner les intentions réelles des responsables de la fondation, qui proclame dans ses statuts un « but non lucratif d’utilité internationale de promouvoir, protéger et défendre les droits des entreprises, en particulier dans les pays de l’Europe de l’Est et de l’Eurasie ». Au nom de ses mystérieux clients, l’avocat a tenté de faire valoir que la naturalisation de Sergueï Pougatchev, dès lors qu’il a frauduleusement prétendu maîtriser la langue française, serait de nature à léser tous les entrepreneurs étrangers « souhaitant faire du commerce avec la France, s’y établir, et un jour, en acquérir loyalement la nationalité ». Cette demande insolite, critiquée par le rapporteur public, a été finalement écartée par la section du contentieux, qui a condamné l’IFBG à verser 3 000 € à Sergueï Pougatchev.
Sous couverture journalistique
Contacté par La Lettre A, après la publication de la décision, James Wilson a soutenu qu’il était tout simplement étranger à l’action entreprise contre l’oligarque. Le lobbyiste, qui se présente comme un journaliste et échappe ainsi aux exigences de transparence des institutions européennes, jure même d’une connaissance superficielle de l’activité de Sergueï Pougatchev. L’IFBG se serait bornée à référencer, le 7 avril 2021, sur son site, le contenu de l’article critiquant l’ex-oligarque, signé par deux autres faux journalistes, Colin Stevens et Philip Braund, eux-mêmes affiliés à deux publications sœurs de la sienne, EU Reporter et London Globe. Fidèle à sa réputation de caméléon, James Wilson met d’ailleurs en avant ses plus récentes publications et celles de sa fondation, dans lesquelles il accuse la Russie de crimes de guerre.
D’après les éléments recueillis par La Lettre A, c’est pourtant bien son association, l’IFBG, enregistrée en 2015 sous le nom Kyiv Brussels Network, qui a mandaté le cabinet Briard pour porter le recours devant la justice administrative française. Dans les mois à venir, d’ailleurs, d’autres associations, tenant compte de la jurisprudence de l’IFBG, pourraient tenter à leur tour de démontrer leur intérêt à agir. Quitte à choisir le même prestigieux cabinet, d’autres amis de la Russie pourraient ainsi faire juger au fond l’annulation du décret Pougatchev.
L’autre opération de James Wilson pour un oligarque russe
D’autres interventions de James Wilson à Bruxelles ont été repérées par l’ONG Transparency International. Le lobbyiste a ainsi pu théâtraliser, fin août 2022, une fausse conférence de presse dans le but d’aider le fabricant d’engrais Eurochem, appartenant à l’homme d’affaires russe né en Biélorussie Andreï Melnitchenko, à échapper aux sanctions de l’Union européenne visant les intérêts liés au pouvoir russe. Tout en approuvant le principe des sanctions, le PDG de l’entreprise, dont le siège est en Suisse, s’est saisi de cette tribune pour mettre en garde l’Europe sur le risque de provoquer un « dégât collatéral » : privés de fertilisateurs, les pays du Sud seraient menacés de famine. Bien que dévoilée par UE influence by Politico, cette manipulation a été reprise par divers médias.