Le Pouvoir de l’Argent: Comment les Autocrates Utilisent Londres Pour Attaquer Leurs Opposants Dans Le Monde Entier

Les cours Anglaises sont devenues un champ de bataille – et une source d’outils puissants – dans les litiges entre les hommes d’affaires influents et les politiciens du monde Post-Soviétique.

Article écrit par Andrew HIGGINS, Jane BRADLEY, Isobel KOSHIW et Franz WILD

Juin 18, 2021 à 02:00 ET

LONDRES : Olena TYSHCHENKO, une avocate basée en Grande Bretagne, était devant une perspective d’années d’emprisonnement dans une prison Russe surpeuplée, quand la possibilité de liberté est venue d’une source inattendue.

Un avocat Anglais, Chris HARDMAN, qui est l’un des associés de l’un des plus grands cabinets d’avocats au monde, le cabinet Hogan Lovells, est venu à Moscou en avion, pendant que son cabinet a préparé une offre alléchante : Mme TYSHCHENKO serait libérée à condition de fournir de l’information qui servirait le client de HARDMAN dans une série de litiges à Londres.

Le souci étant que Mme TYSHCHENKO est l’une des avocates de la partie adverse. Pour avoir sa liberté, elle devrait trahir son client. C’était une offre brutale. Cependant, la prison à Moscou a été tout aussi brutale et elle a accepté à contrecœur. Dans un interview, qu’elle a donné par la suite, elle a dit qu’il était « plus qu’anormal » que des avocats de la partie adverse à Londres avaient un rôle dans son destin en Russie.

« Ils sont très agressifs » elle a ajouté.

Une prison à Moscou. Une cour à Londres. La première fait partie du système juridique de la Russie et est largement considérée comme corrompue et subordonnée au Kremlin. La deuxième est le symbole du système juridique Anglais qui est respectée partout dans le monde. Malgré cela, la preuve obtenue par M. HARDMAN dans la prison à Moscou serait acceptée par le juge Anglais dans le litige en question.

Cet épisode est une vive illustration de la politique brutale des pays autoritaires comme la Russie et le Kazakhstan qui s’est répandue dans le système juridique Anglais, où les avocats et les enquêteurs privés à Londres prennent des honoraires pharaoniques pour s’engager dans des stratégies douteuses au service des pays étrangers.

L’enquête commune du New York Times et du Bureau of Investigative Journalism ( « Bureau du Journalisme d’enquête ») – dans laquelle des centaines de page de documents juridiques liés aux litiges, de documents divulgués, et plus de 80 interviews avec des sources proches des affaires, des experts et des témoins ont été analysé-et cette enquête a révélé comment les cours de Londres sont utilisées par les autocrates pour faire une guerre légale contre les personnes qui ont fuient leurs pays d’origines, car ils ne se trouvaient pas du bon côté en terme de politique ou d’argent.

Dans les quatre dernières années sur une période de six ans, les justiciables d’origine de la Russie et du Kazakhstan ont participé dans plus de litiges civils en Angleterre que n’importe quelle autre nationalité. Les gouvernements autoritaires ou des entités associées, font souvent face aux riches hommes d’affaires qui ont dû fuir leurs pays. Ni les gouvernements, ni les entités associées ne font pas preuve de compassion- mais dans les deux cas paient généreusement en termes d’honoraires.

Déposer des dossiers contentieux à Londres peut donner de la légitimité aux prétentions des gouvernements autocrates, où leurs propres systèmes juridiques sont tellement ternis que les décisions juridiques prises n’ont peu de poids au-delà des frontières de ces pays. De plus, l’Angleterre offre des avantages : les juges ont un grand pouvoir d’appréciation et peuvent examiner des preuves, mêmes obtenus par des services de sécurités corrompues ou dans les systèmes juridiques corrompus. Les agences privées de renseignements/d’enquête à Londres ne sont pas régulées, ni contrôlées et sont prêtes à utiliser des méthodes « borderline » pour des clients avec beaucoup d’argent.

A titre d’exemple, notre enquête a trouvé qu’un enquêteur privé qui travaillait avec le cabinet de M. HARDMAN, Hogan Lovells, a voyagé en France, afin de corrompre un témoin pour témoigner contre un ennemi du Président Russe, Vladimir V. POUTINE.

Mais le plus grand avantage c’est le fait que les avocats comme M. HARDMAN obtiennent au nom de leurs clients et contre leurs ennemis, ce qu’un juge appelle « une bombe atomique » légale – des ordonnances du juge qui gèlent les actifs de la partie adverse dans le monde entier. Ces ordonnances ressemblent aux ordonnances utilisées par le gouvernement des USA, à la seule différence qu’aux Etats-Unis ceci concerne les terroristes et les vendeurs d’armes, alors qu’ici c’est lié aux litiges civils.

Dans la plupart des cas cette opération reste secrète, avec beaucoup d’ordonnances rendus avant même que la cible soit au courant ou condamné dans un procès. Même les avocats spécialisés dans les dossiers d’ordonnances de ce genre, ne sont pas surs de la quantité d’ordonnances rendus. Mais le fait que les avocats, juges et enquêteurs privés Londoniens sont profondément engagés dans les batailles politiques sauvage du monde Post-Soviétiques est très alarmant.

« On nous demande au R.U, de juger les dynamiques politiques alors même que les cours Anglaises ne les comprennent pas entièrement » a dit Tom MAYNE, chercheur à l’Université d’Exeter, qui se spécialise dans l’approche des cours Anglaises vis-à-vis des cas de corruption liées au monde de l’ancien URSS. « Cette situation ressemble à un abus des cours Anglaises, parce qu’on renforce le statu quo des régimes de ces pays kleptocrates. »

Les législateurs en Grande Bretagne sont de plus en plus alarmés par l’influence Russe et ont détaillé dans un rapport parlementaire de l’année dernière que la grandissante industrie de professionnels Londoniens, dont avocats et enquêteurs privés sont « au service des besoins » de l’élite Russe.

« Comme l’a mis en évidence le Rapport sur la Russie, il y a une industrie dans notre capitale qui se développe afin de protéger les intérêts de l’élite corrompue » a dit Lisa NANDY, chef d’affaires étrangères au sein de la partie d’opposition du Labour Party (« Parti du Travail Anglais »)

« Les cours sont devenues dernièrement un champ de bataille où ils utilisent les institutions d’accès libre afin de protéger leurs bénéficies illicitement obtenus »

  1. HARDMAN et ces protégés au sein de Hogan Lovells ont été les leaders dans la représentation de clients de grande influence issues de l’ancien bloc Soviétique, et travaillent régulièrement avec la Diligence, une société de renseignement privée à Londres avec la réputation de surveillance par des méthodes agressives. Ces sociétés se sont réunies sur demande de la Deposit Insurance Agency de la Russie (« Agence d’assurance de dépots ») contre Sergei PUGACHOFF, personne proche de POUTINE et qui est désormais accusée de vol de plus d’un Milliards de Dollars de fonds d’une banque Russe, ce qu’il refute.

Un autre exemple d’une bataille légale sensationnelle émane du monde politique brutal et autocrate du Kazakhstan et concerne une banque détenue par l’état et un homme d’affaires en fuite, accusé de vols de milliards. Ce litige très médiatisé a commencé à Londres il y a 12 ans, avec énormément d’avocats des deux cotés et concerne Mukhtar ABLYAZOV, un ancien proche de l’élite kleptocrate du Kazakhstan qui dit qu’il est poursuivi par le procureur pour des raisons politiques.

Mme TYSHCHENKO a été l’une des avocats de la société associée à M. ABLYAZOV. Elle était en déplacement à Moscou en Aout 2013, mais a été détenu à un hôtel de luxe proche du Kremlin, mise en prison et accusée de la complicité de dissimulation des actifs de M. ABLYAZOV. Les autorités Russes ont donné leur feu vert à l’accord signé avec le client de M. HARDMAN qui l’a libéré. Elle a refusé d’avouer d’avoir fait du mal, mais son affidavit (déclaration sous serment écrite) par la suite fourni à M. HARDMAN est devenu une preuve dans un litige où le juge Anglais a ordonné le gel des actifs du beau-fils de M. ABLYAZOV

Dans un communiqué, le cabinet Hogan Lovells a nié les allégations concernant le fait d’avoir agi de façon malhonnête, et ont ajouté que M. ABLYAZOV et M. PUGACHOFF ont « commis les plus grandes fraudes que le monde n’a jamais vues » et a ajouté que « vu la réputation acquise par Londres comme le lieu d’un procès ouvert et équitable, ce n’est pas une surprise que c’est à Londres que ces prétentions sont testées et où le résultat donne confiance dans le monde entier »

Un Menu inhabituel

Pour comprendre l’étendue des actions de la Diligence, société de renseignements privés, afin d’obtenir des preuves dans ces litiges, il convient d’analyser l’exemple de Natalia Y. DOZORTSEVA, qui est une avocate Russe.

En 2017, à Nice, France, alors qu’elle est assise dans un hôtel, Mme DOZORTSEVA est rejointe au bar par Trefor T. WILLIAMS, le dirigeant de Diligence de Londres. Parlant pendant que jouait le piano à l’arrière fond, M. WILLIAMS entre quelques tentatives de flatteries et d’offres d’argent, a proposé à elle de trahir son client, M. PUGACHOFF, qui était l’ancien homme de confiance de POUTINE, et qui résidait en France pour éviter la prison suite à l’ordonnance de gel faite à Londres en 2014.

  1. WILLIAMS a proposé un menu d’options : or, argent, bronze. Chaque catégorie, représentant un niveau spécifique de coopération et de rémunération.

Lui dire tout ce qu’elle savait sur son client attribuerait à elle la catégorie de bronze. La catégorie d’argent nécessitera une déclaration sous serment. La catégorie or envisageait qu’elle témoigne devant la cour pendant les plaidoiries contre son client.

« Je veux toujours obtenir la catégorie or », M. WILLIAMS a dit. Il a dit à Mme DOZORTSEVA que l’information qu’elle possède permettront d’aider dans ce qu’il a décrit comme une « impasse » légale et a promis de lui fournir « une indépendance financière » et avec ces contacts à Moscou, la possibilité de voyager librement vers la Russie et depuis la Russie.

« Pour ça » M. WILLIAMS a dit, « nous voulons quelque chose, nous voulons une certaine coopération. »

Dans le monde compétitif de renseignements privés, la Diligence a construit une réputation d’une entité qui utilise des stratégies trompeuses et une surveillance intrusive pour obtenir des résultats, qui souvent seront utilisés dans les litiges, comme celui-ci, et ça pour le compte d’Hogan Lovells.

A la différence de pays Européens — et des Etats-Unis – la Grande Bretagne n’a pas de règlementation légale concernant les enquêteurs privés, même après l’affaire de piratage téléphonique en 2011 pour un journal tabloïde (affaire New of the World), qui est resté le scandale d’enquête privé le plus notoirement connu en histoire moderne. Les enquêteurs sont tenus de respecter la vie privée, et les lois et les procédures légales dans les juridictions locales, mais ces mêmes règles sont souvent moins contraignantes dans les litiges civils entre les parties privées.

The Times et le Bureau of Investigative Journalism ont appris que la Diligence a contacté Mme DOZORTSEVA après avoir écouté l’enregistrement que Mme DOZORTSEVA a faite en secret de la conversation qu’elle a eu avec M. WILLIAMS. En fin de compte, elle n’a jamais trahi M. PUGACHOFF, mais a dit à l’avance qu’un rendez-vous devait avoir lieu, et a enregistré ce rendez-vous.

Les avocats travaillant avec la Diligence ont admis que M. WILLIAMS avait un rendez-vous « d’exploration » avec Mme DOZORTSEVA mais ont dit « qu’il n’est pas illégal d’offrir des paiements aux témoins » et ont dit qu’aucun accord sur le paiement n’a pas été obtenu.

L’offre faite à Mme DOZORTSEVA aurait pu mal se terminer dans le cas d’une enquête pénale publique en Angleterre, mais rien ne l’interdit explicitement dans les litiges civils entre parties privées. En France, il est illégal d’offrir de l’argent à un témoin, mais seulement dans le cas où le but est de falsifier un témoignage. Certains experts considèrent qu’un paiement considérable pourrait aller dans le sens d’intention illégale, mais la Diligence réfute fortement cette position.

Les avocats ont réussi à profiter de ces lacunes légales, afin d’obtenir des preuves et des avantages stratégiques, tout en se distanciant des techniques utilisées par des sociétés comme la Diligence. Il serait, par exemple, contre la déontologie d’avocat de payer un témoin, sauf pour des dépenses « spécifiques et raisonnables », comme les frais de voyage, et le logement.

Le cabinet Hogan Lovells a refusé de répondre aux questions concernant leurs relations avec la Diligence et concernant les stratégies utilisées par cette société, dont l’offre faite à Mme DOZORTSEVA. Le cabinet d’avocat a précisé que l’utilisation des « agents de renseignement » n’a pas été critiqué par les cours Anglaises, et a dit que le cabinet attend toujours « que des firmes de ce sorte fonctionnent sans dépasser le cadre légal. »

Crée en 2000, la Diligence a pris sa structure « ADN » à Nick DAY, son ancien dirigeant, qui selon ces anciens collègues, aimé les opérations secrètes. Une histoire a éclaté en 2005, quand la société a assisté un conglomérat Russe dans un litige commercial avec des enjeux de plusieurs millions de dollars, aux Iles Vierges Britanniques.

  1. DAY était accusé d’avoir manipulé un comptable de la société KPMG afin d’obtenir des documents confidentiels. Il s’est fait passer pour un agent de renseignement Britannique, pendant qu’une Américaine travaillant pour sa société, s’est faite passer pour un agent de la C.I.A qui se présentait comme « Liz de Langley (Langley étant le QG de la CIA). »

Selon Bloomberg, quand KPMG a obtenu l’information anonymement concernant cette fraude, la Diligence a payé 1.7 Millions de Dollars à la société de comptabilité, afin de clôturer le litige de façon amiable.

  1. HARDMAN travaillait sur ce même cas avec la Diligence et a continué à fournir du travail à la société depuis cette même date. Le cabinet Hogan Lovells a payé près de 2.3 Millions de dollars et ça juste, pour le travail effectué courant 2012, comme le démontre les documents la moitié des revenus annuels du siège social Londonien pour l’année 2012 émanait des revenus versés par le cabinet.

Dans un communiqué, M. DAY a dit que lui et l’équivalent de la Diligence Suisse qu’il dirige désormais, ont refuté « toutes allégations d’illégalité. » M. DAY – qui n’a pas nié le fait de se faire passer pour un agent de renseignements Britannique pour obtenir des documents – a déclaré que la société a des protocoles stricts « afin d’assurer que les techniques utilisées sont légales, nécessaires et proportionnées. » Elle utilise « des techniques innovatrices et de dernière génération dans les enquêtes » pour obtenir l’information qui « serait admises par une cour et qui respecte toutes les règles d’admissibilités des preuves », il a ajouté.

Dans le cas de M. PUGACHOFF, le contact de la Diligence avec Mme DOZORTSEVA a été préparé par le majordome et chauffeur de M. PUGACHOFF, qui se positionne également comme un grand amateur du piano, et de Russophilie.

En contrepartie pour avoir espionné M. PUGACHOFF, et avoir copié certains documents, le majordome, Jim PERRICHON, dans un interview a avoué que la Diligence lui avait promis un paiement mensuel.

  1. PERRICHON a estimé qu’il a rempli ses obligations en organisant le rendez-vous dans l’hôtel avec Mme DOZORTSEVA. « J’ai réalisé que si on arrivait à recruter Natalia, on pouvait écraser PUGACHOFF », M. PERRICHON s’est rappelé.

Mais, M. PERRICHON, qui continuait à croire la Russie, a dit qu’il ne faisait plus confiance à la Diligence, qui a refusé de le payer intégralement. Dans un mail daté de Mars 2020, la société lui a proposé de payer en une seule fois « 36k »  afin de régler amiablement leur situation, et ont promis d’accroitre ces paiements, s’il pouvait préparer une synthèse de tout ce qu’il savait sur M. PUGACHOFF, et pouvait témoigner en justice pendant les plaidoiries. Il a refusé cette offre.

La Diligence a admis le fait d’avoir payer M. PERRICHON pour obtenir de l’information sur M. PUGACHOFF, mais a précisé qu’elle ne l’a pas recruté en tant qu’informateur. La société a dit que c’est M. WILLIAMS qui a voulu rompre les relations avec M. PERRICHON, après que M. PERRICHON n’a pas fourni l’information promise. La société a réfuté le fait qu’elle lui devait de l’argent.

Une Arme Juridique

Comme un drone militaire, une ordonnance de gel mondial des actifs peut attaquer sa cible sans avertissements.

  1. PUGACHOFF, par exemple, a découvert que ces actifs ont été gelé quand un agent de la Diligence et un avocat du Hogan Lovells ont essayé de lui donner cette ordonnance en main propre dans une rue Londonienne. Après que M. PUGACHOFF a refusé de prendre ces papiers, l’avocat en question a déposé ces documents au domicile de M. PUGACHOFF.

L’Angleterre a introduit les ordonnances de gel des actifs en 1981, et vers 1998 le juge a considéré que cette ordonnance a une portée globale. C’était un temps propice. L’argent et les hommes d’affaires Russes et venant d’autres pays des états Post-Soviétiques ont saturé Londres, qui était prétendument un lieu de refuge paisible.

  1. ABLYAZOV a fui le Kazakhstan en 2009 après que l’état de l’Asie Centrale l’a accusé d’avoir détourné des milliards de la Banque BTA, dans laquelle il était le dirigeant. M. ABLYAZOV a réfuté d’avoir agi illégalement, et continue à dire qu’il était poursuivi par le gouvernement car il était une menace politique.

Un juge Anglais a déclaré que M. ABLYAZOV était une personne à qui on ne pouvait pas faire confiance, mais le Conseil d’Etat Français en 2016, a rejeté le pourvoi du gouvernement concernant son extradition aux motifs que le litige contre lui était « politiquement motivé. »

L’équipe juridique de M. HARDMAN ont obtenu l’ordonnance de gel des actifs contre M. ABLYAZOV en 2009 et a depuis bombardé les juges avec des nouveaux dossiers judiciaires, et a gagné des procès qui ont éventuellement élargi la portée de ces ordonnances et a élargi la liste de défendeurs aux associés et membres de sa famille.

Les procès civils ont finalement donné lieu en 2012 à une condamnation de M. ABLYAZOV à 22 mois de prison pour outrage à la cour (contempt of court), après qu’il a violé une ordonnance le demandant de divulguer ses actifs. Il a fui en France, et a obtenu le statut de réfugié.

Selon les experts, depuis cette date, les ordonnances de gel des actifs Anglaises, avec le respect qui est donné aux cours Anglaises et la place financière centrale de Londres, ont développé un pouvoir et une portée sans précédent.

Ces ordonnances sont applicables aux cibles individuelles avec des attaches mêmes marginales à la Grande Bretagne, et les cours ont jugé que ces ordonnances étaient également applicables aux sociétés associées, aux trusts, et aux associés qui se trouvent à n’importe quel endroit du monde.

« Une ordonnance de gel mondial des actifs est une mesure très draconienne » a dit Lloydette BAI-MARROW, ancien procureur de Britain’s Serious Fraud Office ( Bureau de lutte contre les fraudes graves en Grande Bretagne), et qui gère désormais une société de consulting dans le domaine de crimes en col blanc. « Il y a une tendance où ces ordonnances sont utilisées dans une façon potentiellement nuisible comme une arme contre les individus, et ceci devrait nous inquiéter. »

« On ne doit pas être des pions dans un jeu important. »

Le cabinet Hogan Lovells a indiqué que la loi Anglaise fait peser « un fardeau très lourd » sur la partie qui demande le gel des actifs, en l’obligeant à le faire de façon équitable/honnête. Le cabinet d’avocat a précisé que le défendeur avait le droit de contester immédiatement cette ordonnance à sa réception par ce dernier si elle était obtenue avec des preuves « illégales ou fausses », et que le demandeur devait dans ce cas là mettre en avant devant le juge tous les arguments pour contredire le défendeur.

Beaucoup d’avocats Anglais et de juges considèrent que les ordonnances de gel des actifs sont essentielles pour combattre les fraudeurs, et servent à la transparence des cours dans les litiges et des preuves qui émanent des pays dont les systèmes juridiques sont corrompus. Ils prétendent que l’analyse de toutes les preuves, peu importe leur origine ou comment elles sont parvenues à la cour permettent de faire une meilleure justice.

« La recevabilité de la preuve fait des courts du R.U un lieu plus attrayant pour ce type de litiges que les pays comme les Etats-Unis » a dit Pavel TOKAREV, ancien enquêteur de la Diligence qui est parti en 2019 pour faire sa propre société. « Les règles de recevabilité des preuves, sont très flexibles au R.U. »

La preuve obtenue en prison de la part de Mme TYSHCHENKO en est un bon exemple.

Pour obtenir cette preuve, M. HARDMAN travaillait avec Andrei A. PAVLOV, un avocat Russe missionné par la Banque BTA.

Les Etats-Unis et la Grande Bretagne par la suite, ont mis M. PAVLOV sur une liste noire pour son prétendu rôle dans un complot criminel qui s’est terminé par la mort en 2009 dans une prison de Moscou, d’un lanceur d’alerte, Sergei MAGNITSKY. Dans un interview à Moscou, M. PAVLOV a dit qu’il était injustement sali et qu’il n’a rien fait d’illégal. Il a dit qu’il était fier qu’il a travaillé avec M. HARDMAN, car cet avocat Londonien a une réputation d’avocat exceptionnel.

Le juge Anglais a dû faire face aux demandes qui disaient que le cabinet Hogan Lovells n’a pas informé la cour que la preuve obtenue de la part de Mme TYSHCHENKO était obtenue sous la contrainte, et le juge Anglais a considéré que le cabinet a suivi les règles d’admissibilité de la preuve même si la preuve au moment d’avoir divulgué l’information a été obtenu pendant sa détention. Cependant, on n’a pas demandé au juge d’analyser les circonstances de sa détention- dans une Prison Russe—ni le rôle de M. PAVLOV, ni les questions concernant le fait si Mme TYSCHENKO était maltraitée ou pas.

De plus, pendant que Mme TYSCHENKO était en prison, un autre avocat du cabinet Hogan Lovells a persuadé le juge Anglais de rendre une ordonnance obligeant son mari localisé en Grande Bretagne de fournir à la cour des documents et autre information utile aux procès de Hogan Lovells. En guise de preuve, le cabinet d’avocat a fourni des « enquêtes de presse» trouvées sur le site web compromat.ru, un site Russe notoirement connu comme un site d’information non vérifiée ou fabriquée de toute pièce.

Le cabinet Hogan Lovells a indiqué que la London High Court avait déjà eu l’occasion de rejeter les demandes de la partie adverse concernant le fait que la société « s’est comportée incorrectement » vis-à-vis de Mme TYSHCHENKO, et la cour a indiqué que le cabinet « agissait dans les règles » concernant les règles de l’admissibilité de la preuve. Le cabinet a précisé que dans le dossier lié à Mme TYSHCHENKO, l’information obtenue sur compromat.ru était « une petite fraction de l’ensemble des preuves fournies à la cour pour obtenir l’ordonnance du juge. »

Mme TYSHCHENKO était moins optimiste. « Il n’y a pas de bonnes personnes dans cette affaire » elle a dit.

Une Affaire Qui Ne Se Termine Pas

Même si les cabinets Londoniens se sont enrichis considérablement, en défendant des oligarques et les ex-pays Soviétiques, ces mêmes cabinets avaient moins de succès dans la récupération de fonds et d’actifs au nom de leurs clients. En novembre 2020, selon un récent affidavit du gérant actuel de la BTA Banque, la banque a récupéré seulement 45 Millions de Dollars sur les 6 Milliards de Dollars que selon eux, M. ABLYAZOV a volé.

Un compte rendu interne de la banque daté de 2014 a indiqué que 89% des 470 Millions de dollars dépensés partout dans le monde pour payer les frais d’avocats et autres « conseillers » ont été dépensé à Londres.

Les batailles juridiques émanant d’anciens pays Soviétiques sont souvent « très lucratives considérant les honoraires des avocats du R.U et des sociétés d’enquête, » a dit M. TOKAREV, ancien enquêteur de la Diligence. « Le R.U est un pays et gouvernement pragmatique, et ils n’ont aucun intérêt à chasser cet argent rentrant de leur pays. »

En effet, l’affaire BTA, entre autres, ne semble pas ralentir dans ces développements.

En Novembre dernier, par exemple, un juge Londonien a analysé la demande de la banque détenue par l’Etat pour le gel des actifs du milliardaire Kazakh, Bulat UTEMURATOV, qui est accusé devant la cour par un avocat Britannique mandaté par la BTA Banque comme étant le « responsable du blanchiment d’argent » au nom de M. ABLYAZOV. Le juge à qui on a présenté des preuves partiellement obtenues par les services du ministère de l’intérieur du Kazakhstan, a rendu une ordonnance de gel des actifs.

Le mois d’après, soudainement, le juge Londonien a retracté son ordonnance de gel des actifs, aux motifs que la banque a retiré sa demande car ils ont trouvé une solution amiable confidentielle avec M. UTEMURATOV, qui a continué à nier les allégations contre lui. Le cabinet d’avocat, Greenberg Traurig qui a fourni les preuves pour se litige a refusé de commenter sur la situation.

C’était encore une fois un rappel que les combats politiques du Kazakhstan ou d’autres pays autocrates, se terminent souvent à Londres.

Andrew Higgins dirige le département du journal situé en Varsovie et spécialisé dans les pays de l’Europe de l’Est et de l’Europe Centrale. Anciennement un journaliste et dirigeant du département de Times à Moscou, il a reçu en 2017 un prix Pulitzer pour son journalisme international, et son équipe a reçu le même prix en 1999 quand il était le dirigeant du Wall Street Journal à Moscou.

Jane Bradley est le journaliste enquêteur du R.U pour le journal The New York Times. Elle travaille sur Londres, et se spécialise dans la découverte des cas d’abus de pouvoirs, le crime financier, des cas de corruptions, et dans la justice sociale

 

 

 

 

Sergueï Pougatchev, docteur ès sciences. Investisseur international, personnalité publique et politique, sénateur (2001-2011), citoyen français.

Né en URSS, Sergueï Pougatchev se consacre après l’éclatement de l’empire soviétique à attirer les investissements en Russie. Au début des années 1990 il s’installe en France avec sa famille.

Il est le fondateur de la première banque privée de Leningrad et fondateur de l’une des plus grandes sociétés privées d’investissement en Russie: la Corporation industrielle unifiée (“OPK”).

Dans les années 1990 il fait partie du cercle rapproché du premier président russe Boris Eltsine, dont il dirige en 1996 l’équipe de campagne électorale.

En 1999 il propose à Boris Eltsine de nommer au poste de Premier ministre un certain Vladimir Poutine, alors inconnu du grand public. C’est aussi Pougatchev qui dirige la campagne de Vladimir Poutine lors des élections présidentielles en 2000.

Après la victoire de Vladimir Poutine aux élections, Sergueï Pougatchev demeure longtemps son conseiller principal, tout en continuant de se consacrer aux activités d’investissement.

Il poursuit également son engagement en politique, où il prône une approche ultra-libérale de l’économie et de l’organisation sociale de l’Etat russe; il est sénateur de 2001 à 2011.

C’est lui qui propose à Vladimir Poutine de réformer l’Union des chefs d’entreprise et industriels de Russie (dont il assure la vice-présidence à partir de 2000), afin d’assurer un dialogue entre le Président et les plus grandes entreprises russes privées. Il organise les premières rencontres officielles entre le président Poutine et les oligarques russes: c’est à l’issue de l’une d’entre-elles qu’un conflit survient entre Vladimir Poutine et Mikhaïl Khodorkovsky (IOUKOS).

En 2011, à la suite de différends politiques accrus avec Vladimir Poutine, Sergueï Pougatchev est contraint d’abandonner tous les postes à responsabilité publique et décide de liquider l’intégralité de ses actifs russes.

Sergueï Pougatchev avait commencé à investir dans l’économie russe dès le début des années 1990. Ainsi, en 2010 il se retrouve l’unique propriétaire de la société d’investissement Corporation industrielle unifiée (“OPK”) dont les actifs s’élèvent à 15 milliards de dollars américains.

Sergueï Pougatchev avait, de fait, ressuscité l’industrie navale russe, notamment en construisant un méga-chantier naval à Saint-Pétersbourg, intégrant des dizaines d’entreprises de construction navale et mécanique de haute technologie. Ses chantiers construisent des navires civils et militaires, parmi lesquels: des navires à certification glace permettant l’exploration de gisements arctiques et offshore, des navires militaires pour l’Inde et la Chine, des navires de réapprovisionnement pour la Norvège, le plus grand brise-glace au monde, la première centrale nucléaire flottante au monde. Pour la première fois depuis l’époque soviétique (depuis les années 1970) ces chantiers permettent de relancer une production industrielle de brise-glaces.

C’est aussi à l’initiative de Sergueï Pougatchev que ses chantiers entreprennent de construire les porte-hélicoptères français de la classe “Mistral”. On envisage alors de construire vingt navires de cette classe.

En 2010, sous la pression de Vladimir Poutine, Sergueï Pougatchev se voit contraint de céder à l’Etat l’intégralité de sa participation dans les chantiers navals, à un prix notoirement inférieur au marché. A l’époque, les actifs de Pougatchev sont évalués, selon différentes estimations, à environ 7 milliards de dollars.

Mais l’Etat russe manque aux obligations stipulées dans le contrat et exproprie les actifs sans contre-partie.

Par la suite Vladimir Poutine confie la gestion de la corporation à son proche collaborateur, le vice-premier ministre Igor Setchine (celui-là même qui avait, quelque temps auparavant, organisé l’expropriation de IOUKOS).

L’autre principal volet des activités d’investissement de Sergueï Pougatchev en Fédération de Russie est la promotion immobilière (acquisition de terrains, construction immobilière haut-de-gamme au centre et dans les environs de Moscou, ainsi que dans le centre de Saint-Pétersbourg). Pour mener à bien ces projets, Sergueï Pougatchev investit plusieurs milliards de dollars dans l’achat de terrains.

Un hôtel donnant directement sur la Place Rouge à Moscou, d’une surface totale de 76,000 m2, est appelé à devenir le joyau central de cette couronne d’immobilier de luxe en Russie. Le projet est confié à l’architecte français Jean-Michel Wilmotte. C’est le Président Poutine qui demande personnellement à Sergueï Pougatchev d’entreprendre la construction de ce palace 5-étoiles sur la Place Rouge, en face du Kremlin. Mais plus tard, ce projet a été exproprié par ordre du président de la Russie.

Dans le centre historique de Saint-Pétersbourg, à quelque cinq minutes du Palais de l’Ermitage, 70 hectares de terrain sont acquis au bord de la Néva, dans le cadre d’un projet d’immobilier résidentiel de luxe, prévoyant une surface habitable de plus de 4 millions de m2.

Afin de libérer les terrains nécessaires à la construction, Pougatchev fait déplacer les ateliers de construction depuis le territoire du chantier naval Baltyisky vers le nouveau mega-chantier qu’il fait construire dans la banlieue de Pétersbourg, à l’emplacement des anciens chantiers historiques Poutilov. Le projet est suivi personnellement par le gouverneur de la ville de Saint-Pétersbourg, Valentina Matvienko (qui occupe actuellement le poste de Présidente du Parlement de la Fédération de Russie); elle donne l’approbation officielle au programme municipal de déplacement des chantiers industriels depuis le centre historique vers la périphérie de la ville. La projet est baptisé “La Nouvelle Venise”. Les pouvoirs municipaux construisent une station de métro à proximité immédiate de l’ancien emplacement des chantiers Baltyisky.

Pougatchev est par ailleurs le plus grand propriétaire de terrains dans une zone résidentielle unique en son genre, située dans les environs de Moscou sur les bords de la Moskova. C’est là qu’habitent les personnes les plus fortunées de Russie. C’est là aussi que se trouve la résidence du Président Poutine, Novo-Ogariovo.

Quand le conflit entre Pougatchev et Poutine éclate, tous ces projets sont annulés ou expropriés.

Dans les années 90, Sergueï Pougatchev avait investi des sommes conséquentes dans un projet d’exploration et d’exploitation subséquente de gisements de charbon en Sibérie orientale.

Vers le milieu des années 2000 il devient ainsi propriétaire du plus grand gisement de charbon à coke dans le monde, combustible largement utilisé en métallurgie.

Il entreprend alors de construire une voie ferrée longue de 402 km. Il s’agit du plus grand projet de construction ferroviaire depuis la construction du “BAM”, la voie ferrée Baïkal-Amour. Boris Gryzlov, président de “Russie Unie”, le parti au pouvoir, supervise officiellement le projet.

Pougatchev signe un accord d’investissement avec l’entreprise japonaise Mitsui, qui acquiert 49% de la Compagnie industrielle du Enissei (“EPK”), exploitant le gisement houiller. Mitsui participe au développement du projet.

En 2010 la capitalisation d’EPK se chiffre à 5 milliards de dollars.

A la fin de 2012, sur ordre personnel du président Poutine, la licence d’exploitation houillère accordée à EPK est illégalement retirée. L’entreprise est pillée et pratiquement anéantie. Près d’un milliard et demi de dollars, destinés à l’exploitation du gisement, disparaissent des comptes de la société.

Ainsi, la plus grande partie des actifs de Sergueï Pougatchev situés en Fédération de Russie sont expropriés au bénéfice de l’entourage proche de Vladimir Poutine.

Pougatchev tente d’attaquer en justice le gouvernement russe, et se retrouve pris pour de longues années dans des démêlés interminables devant les tribunaux russes. L’issue de ces litiges est évidemment tranchée d’avance: Poutine avait personnellement surveillé le processus d’expropriation et avait à plusieurs reprises averti Pougatchev, dans des déclarations publiques, des risques que ce dernier courait en continuant de lutter pour ses actifs.

Lorsque Pougatchev signifie à Poutine sa résolution de saisir la Cour internationale de La Haye, les pressions dont il est l’objet se multiplient. Plusieurs ex-dirigeants de ses sociétés sont condamnés illégalement et se retrouvent en prison.

De fausses accusations pénales sont montées contre Pougatchev, un mandat d’arrêt international est lancé par Interpol. Interpol finit pourtant par reconnaître que l’affaire est politiquement motivée et rejette in fine la demande russe.

A la demande expresse du président Poutine, l’Agence de garantie des dépôts est officiellement désignée comme représentant de la Fédération de Russie à l’internationale et intente de multiples procès à Pougatchev dans le monde entier, dans le but de détourner les ressources intellectuelles et financières de ce dernier du procès à La Haye.

Poutine ne s’en tient pas à l’anéantissement de l’empire économique de Sergueï Pougatchev en Russie. Il vise aussi ses avoirs à l’étranger, mettant à profit les liens entre la Fédération de Russie et d’autres Etats, les organisations, traités et accords internationaux, abusant du droit.

Notamment, en 2013, au titre de l’accord d’entraide judiciaire existant entre la Russie et la Suisse, la Russie obtient le gel des avoirs appartenant à Sergueï Pougatchev déposés dans les banques suisses. Les avoirs en question étant destinés au développement des actifs de Pougatchev situés à l’étranger, plusieurs entreprises lui appartenant font faillite (notamment OPK Biotech, société américaine de technologie de pointe, spécialisée dans la fabrication de sang artificiel à usage universel, ne nécessitant pas de régime de conservation spécial et convenant également à tous les groupes sanguins; la capitalisation d’OPK Biotech se chiffrait à 3,5 milliards de dollars; la société avait déposé plus de 600 brevets d’invention).

De même, ces démarches de l’Etat russe ont pour conséquence la faillite d’Hédiard, épicerie française de luxe fondée en 1854, appartenant également à Sergueï Pougatchev. Hédiard, membre du Comité Colbert au même titre que l’Opéra National de Paris, Chanel, Christian Dior ou Givenchy, avait 320 boutiques dans le monde et était reconnue patrimoine national français.

La société horlogère suisse, fabriquant les mouvements horlogers de la marque de montres “Poliot” pour le compte de Pougatchev, fait également faillite. Pougatchev est en effet le propriétaire de cette marque légendaire, l’un des symboles soviétiques connu dans le monde entier — au même titre que le théâtre Bolchoï, le caviar d’esturgeon ou les boîtes de Palekh — et dont le volume des ventes au temps de l’URSS rivalisait avec la marque Rolex.

L’Etat russe continue de poursuivre Sergeï Pugachev à ce jour, ne répugnant pas à user des pires méthodes, qui vont de poursuites illégales devant des tribunaux étrangers jusqu’à des tentatives d’assassinat. Plusieurs attentats ont ainsi été organisés depuis 2010. En 2015, la section antiterroriste de Scotland Yard SO15, trouve un engin explosif sous l’automobile de Sergueï Pougatchev. Ce n’est que grâce aux efforts conjoints des services spéciaux français et britanniques que l’attentat a été déjoué.

En 2013 Sergueï Pougatchev rencontre personnellement Vladimir Poutine, avec qui il discute d’une possibilité d’accord amiable entre les parties, moyennant le paiement d’une compensation par l’Etat russe pour les actifs expropriés.

Poutine accepte d’indemniser Pougatchev pour les dommages subis. C’est le début de longues négociations, où le président Poutine est représenté par un de ses proches, un général des services spéciaux russes.

Au bout d’un an et demi de négociations ardues, Vladimir Poutine lâche: “Qu’il aille en justice. S’il gagne, on paiera” (sic!).

Le 21 septembre 2015 Sergueï Pougatchev porte plainte contre la Fédération de Russie devant la Cour Internationale de La Haye, sur le fondement de l’Accord d’encouragement et de protection réciproques des investissements, signé entre la Russie et la France le 4 juillet 1989. Le montant de la plainte s’élève à 12 milliards de dollars américains.

En 2016 le Président de la Cour Internationale de La Haye annonce la composition du Tribunal arbitral, avec Eduardo Zuleta Jaramillo comme Président, et le Professeur Thomas Clay et Bernardo Cremades comme arbitres.

Le 10 novembre 2016 le Tribunal arbitral ordonne, aux fins de sécurité personnelle de Sergueï Pougatchev, de fixer Paris, et non La Haye, comme lieu d’audience.

La première audience publique du Tribunal arbitral se déroule le 13 février 2017 à Paris, en les locaux de la Chambre de Commerce Internationale (ICC).

La lutte de Pougatchev contre Poutine et l’Etat russe pour les actifs spoliés est un exemple unique de fortitude de la part d’un homme qui résiste, seul, face à un Etat entier.

Aux dires de Sergueï Pougatchev, cette résistance est devenue un travail quotidien, presque industriel. Mais il croit fermement en son business-model. Il gère des dizaines d’avocats dans le monde entier. Il remporte régulièrement des victoires contre l’Etat russe et cela l’encourage à poursuivre la lutte.

Au cours de ces années il a vécu la bassesse et l’ignominie, il a vu des proches, qu’il croyait dévoués, le trahir. L’Etat russe qui, dit-il, ne recule devant aucune abjection, a corrompu la mère de ses enfants mineurs. Alexandra Tolstoy-Miloslavsky, son ex-compagne et mère de ses enfants, s’est ainsi retrouvée entretenue par l’Etat russe et vit actuellement à Londres, dans un luxueux hôtel particulier du prestigieux quartier de Chelsea. En contrepartie elle était prête à fournir un faux témoignage dans l’affaire Pougatchev contre la Fédération de Russie. Elle a emmené leurs enfants hors de France et n’y est jamais retournée, privant Sergueï Pougatchev de tout lien avec ses fils et sa fille. Leurs enfants sont ainsi tenus en otage depuis 2016.

Pugachev ne cesse de répéter que dans ce procès il ne s’agit pas que de lui seul. Ce n’est ni une vengeance personnelle contre Vladimir Poutine, ni une tentative de s’enrichir et de retrouver sa vie d’avant. Il est convaincu qu’il s’agit d’un procès entre la Russie et la France et que la Russie doit s’acquitter de ses obligations internationales. Toutes les entreprises multinationales présentes en Russie suivent ce procès de près. Pougatchev estime que ce litige offre un champ privilégié pour l’action diplomatique du président français  Emmanuel Macron, qui cherche à construire une relation avec le chef d’état autoritaire qu’est Vladimir Poutine.

Il s’agit d’une possibilité de plus offerte à la communauté internationale, de mettre fin à l’agression et à l’impunité de Poutine, que ce soit à l’égard de l’Ukraine ou d’autres territoires qu’il occupe, en le traduisant en justice devant la Cour Internationale de Justice de l’ONU à La Haye.

C’est une chance de plus de rappeler au monde la vigueur du droit international.

C’est aussi une chance unique pour le Président Macron de montrer aux citoyens de la République française que leur pays les protège, où qu’ils soient et dans quelque situation qu’ils se trouvent, et qu’il peuvent à juste titre se sentir fiers d’être citoyens français.

A la question de ce qu’il compte faire avec les 12 milliards de dollars qui lui seront versés par la Fédération de Russie, Sergueï Pougatchev répond qu’il destine la majeure partie de ces fonds à des projets caritatifs dans le domaine de l’éducation, des technologies médicales de pointe, et à des fondations d’aide aux enfants privés de leurs parents.

Le 17 mars 2017 la Fédération de Russie a demandé au Tribunal arbitral le secret des audiences dans l’affaire Pougatchev. Cette demande est contraire au Règlement de la Cour de La Haye, néanmoins, le Tribunal arbitral a ordonné la restriction partielle de la diffusion publique des informations liées à l’affaire.

Le 18 juin 2020, le Tribunal de La Haye a rendu une décision sur la base des audiences tenues en novembre dernier à Paris.

Le tribunal a reconnu que le statut de Sergueï Pougatchev, en tant que citoyen légal de la France lui permettait de se prévaloir de la protection des droits des investisseurs prévue par le Traité Bilatéral d’Investissement entre la France et la Russie, mais néanmoins, cette sentence n’a pas complètement satisfait Sergueï Pougatchev  et le 2 Novembre 2020, ses avocats ont déposé un recours auprès du TRIBUNAL SUPERIOR DE JUSTICIA DE MADRID.

Étant donné que deux arbitres du panel du Tribunal ont refusé de se prononcer sur la partie concernant la demande au fond, les avocats de Sergueï Pougatchev  estiment que la sentence du 18 juin 2020 est incomplète et devrait être modifiée.

Étant donné qu’aux termes de la procédure du Tribunal, la ville de Madrid a été désignée comme le lieu d’arbitrage, l’appel a été déposé auprès du tribunal Espagnol – TRIBUNAL SUPERIOR DE JUSTICIA DE MADRID.

Une date d’appel sera fixée sous peu.

Le 2 Novembre, les avocats de M. PUGACHOFF ont déposé un recours à l’encontre de la décision du Tribunal de La Haye rendue le 18 juin 2020

Le 18 juin 2020, le Tribunal de La Haye a rendu une décision sur la base des audiences tenues en novembre dernier à Paris.

Le tribunal a reconnu que le statut de M. PUGACHOFF, en tant que citoyen légal de la France lui permettait de se prévaloir de la protection des droits des investisseurs prévue par le Traité Bilatéral d’Investissement entre la France et la Russie, mais néanmoins, cette sentence n’a pas complètement satisfait M. PUGACHOFF et le 2 Novembre 2020, ses avocats ont déposé un recours auprès du TRIBUNAL SUPERIOR DE JUSTICIA DE MADRID.

Étant donné que deux arbitres du panel du Tribunal ont refusé de se prononcer sur la partie concernant la demande au fond, les avocats de M. PUGACHOFF estiment que la sentence du 18 juin 2020 est incomplète et devrait être modifiée.

Étant donné qu’aux termes de la procédure du Tribunal, la ville de Madrid a été désignée comme le lieu d’arbitrage, l’appel a été déposé auprès du tribunal Espagnol – TRIBUNAL SUPERIOR DE JUSTICIA DE MADRID.

Une date d’appel sera fixée sous peu.

Le Tribunal de la Haye a rendu sa sentence dans le cas Serge PUGACHOFF (Sergei PUGACHEV) C. Fédération de la Russie

Aujourd’hui on a obtenu l’information que le Tribunal de la Haye a rendu sa sentence dans le cas Serge PUGACHOFF (Sergei PUGACHEV) C. Fédération de la Russie, concernant les pouvoirs du Tribunal liés au présent litige.

Le procès contre la Russie a été intenté en 2015 par M. PUGACHOFF (PUGACHEV) suite à l’expropriation de ses actifs sur le fondement de l’accord entre le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, fait à Paris le 4 juillet 1989 (ci-après l’Accord).

Les plaidoiries concernant le pouvoir de juridiction ont eu lieu à Paris en Novembre 2019, cependant aujourd’hui on a obtenu l’information liée la sentence en la matière.

Deux arbitres sur trois ont considéré que le Tribunal n’avait pas le pouvoir de juridiction concernant le litige.

Le Tribunal a pris en considération les nombreux arguments de M. PUGACHOFF (PUGACHEV), mais a malheureusement décidé d’écarter le principe émanant de la pratique judiciaire selon lequel l’Accord protège l’investisseur au moment de l’expropriation et non pas au moment de l’exécution de l’investissement.

Un arbitre a formé une opinion dissidente par rapport aux deux autres arbitres et a écrit dans son avis spécial que la question de la citoyenneté soulevée par les deux autres arbitres contrevient à l’Accord et à la jurisprudence établie en la matière.

La présente sentence ne veut pas dire pour autant que M. PUGACHOFF (PUGACHEV) va arrêter son contentieux avec la Fédération de la Russie.

La présente sentence du Tribunal serait contestée dans les délais processuels légaux par les avocats de M. PUGACHOFF (PUGACHEV) qui sont surs que la présente sentence serait annulée.

-Press-service de Serge PUGACHOFF (Sergei PUGACHEV)

Sergueï Pougatchev, l’oligarque qui réclame 12 milliards à Poutine.

ENQUÊTE – Le milliardaire russe fut le patron de chantiers navals, de mines et d’Hédiard. Tombé en disgrâce, poursuivi par la justice russe mais aussi britannique, il s’estime exproprié. Rencontre avec un ex-conseiller du «tsar» qui réclame réparation, devant un tribunal, à Paris.

Longtemps il fut surnommé le «banquier de Poutine». Aujourd’hui, le banquier se retourne vers son «client». Et ne lui réclame rien de moins que 12 milliards de dollars. Une somme colossale exigée de la Fédération de Russie, donc à Vladimir Poutine, puisque selon le quémandeur, «l’État, c’est Poutine». L’homme qui ose ainsi défier le tout-puissant président russe est Sergueï Pougatchev, oligarque déchu, qui a obtenu la nationalité française de longue date. C’est à ce titre que la prochaine manche du bras de fer qu’il a entamé pour récupérer la valeur des biens, dont il estime avoir été exproprié, se joue ce mardi 12 novembre, à Paris.

Dans la galerie encombrée des oligarques russes, se bousculent ceux qui restent en cour, les disgraciés et les plus ou moins mystérieusement disparus. Sergueï Viktorovitch Pougatchev, c’est celui qui fut propriétaire de l’épicerie de luxe Hédiard et – via son fils Alexandre – du quotidien France Soir. Ce mardi et les trois jours suivants, il assistera donc à une audience du tribunal arbitral international de La Haye. Quatre jours de confrontations organisés non pas aux Pays-Bas mais à Paris. «Pour garantir la sécurité d’un citoyen français», affirme Sergueï Pougatchev.

L’ex-banquier, atterri de Nice où il réside, a donné rendez-vous au Figaro dans le salon cosy d’un hôtel de luxe parisien. La silhouette est haute, la tenue décontractée, veste de cuir, pull sombre, jeans. Il porte la barbe et la moustache plus rases que dans les années 2000 où son visage évoquait immanquablement le tsar Nicolas II. Il arrive suivi de son garde du corps, oreillette apparente, qui s’assoit à quelques mètres. «J’ai reçu des menaces de mort», depuis des années, justifie Sergueï Pougatchev.

En 2015, à Londres où il réside alors avec Alexandra Tolstoï, la mère de ses trois plus jeunes enfants, des boîtiers sont découverts sous sa voiture. Explosifs, comme il le pense, ou balises de localisation? Scotland Yard puis la justice française sont saisis. Pougatchev attend toujours le résultat de l’enquête. «Mes avocats, ici, ont découvert qu’ils étaient suivis, pour moi, ce n’est pas une nouveauté», dit-il sur un ton presque badin.

Intimidations appuyées? Volonté réelle de le supprimer? Pour qui contrarie le Kremlin, toutes les hypothèses sont permises. Comment l’ancien propriétaire d’Hédiard s’est-il retrouvé dans cette situation peu confortable? Il raconte, d’un débit rapide. Sergueï Viktorovitch, 56 ans et déjà plusieurs vies, comprend le français, parle anglais, mais pour plaider sa cause avec volubilité, préfère la langue de Pouchkine. «J’étais proche du patriarche Alexis», chef de l’Église orthodoxe russe de 1990 à son décès en 2008, «qui connaissait mon père», commence-t-il. «C’est grâce à Alexis que je suis devenu conseiller de Boris Eltsine.» Pas encore trentenaire, Pougatchev a fondé «la première banque privée» sur les décombres de l’URSS, l’IIB alias Mejprombank. Le financier réfute avoir été le banquier du patriarcat, et encore plus d’avoir blanchi son argent, «une histoire, fausse», selon lui, qui a prospéré.

Parvenu dans «la Famille», le premier cercle du président Eltsine, il habite une datcha, l’une de ces vastes villas construites en banlieue de Moscou pour la nomenklatura soviétique. À Gorki, le voisin du jeune banquier conseiller du prince est le nouveau patron du FSB, un certain Vladimir Poutine. Les deux hommes se fréquentent. Pour qui douterait de sa proximité avec «Volodia», Pougatchev a affiché sur son site internet des photos d’une fête d’anniversaire et d’une partie de billard sur la table de la datcha de Brejnev. On y voit ses deux aînés, nés de son mariage avec Galina, alors adolescents, en compagnie de Macha et Katia, les deux filles Poutine – sujet quasiment tabou en Russie.

Il a beau être de dix ans le cadet de Vladimir Poutine, Sergueï Pougatchev revendique le rôle de faiseur de roi. Il assure avoir glissé au clan Eltsine le nom du patron du FSB comme premier ministre et successeur du président chancelant. Il le dépeint, au rebours des clichés, en personnage plutôt faible, «qui ne sait pas dire non», et donnerait raison au clan le plus fort du moment. Une description contradictoire avec le fait qu’«aujourd’hui, tous les hiérarques, les gouverneurs, les ex-du KGB ont été nommés par Poutine ; moi, je ne lui devais rien».

Les souvenirs se bousculent dans la bouche de l’homme d’affaires, au point qu’on peine à retracer la chronologie de tel ou tel tête-à-tête avec Poutine. Il situe l’un de ces échanges décisifs en 2009, dans la datcha présidentielle de Novo-Ogariovo, «jusqu’à 3 heures du matin». «Il ne se rendait pas compte que la situation du pays avait changé, il me répondait que le peuple a besoin d’un tsar.» Ce jour-là, l’oligarque signifie au tsar qu’il veut quitter le pays pour s’installer en France où il possède, entre autres, Hédiard depuis 2007. En Russie, il estime que son empire financier et industriel pèse 15 milliards de dollars et 300.000 employés. «Je comprends que Poutine ne veut pas que mes actifs tombent en de mauvaises mains.» Selon lui, de nombreux documents analysés par ses bataillons d’avocats russes, britanniques, américains et français attestent qu’à ce moment, l’État est disposé à lui racheter ses affaires. «Le morceau de choix, ce sont mes chantiers navals de Saint-Pétersbourg, avec leur carnet de commandes de 60 milliards de dollars.» Ceux-là mêmes qui devaient construire les navires militaires Mistral achetés à la France, avant que François Hollande n’annule le contrat pour sanctionner l’annexion de la Crimée. À partir de là, raconte Pougatchev, l’entourage de Poutine, «la meute», veut rafler ses biens.

Les ennuis s’enchaînent. La Mejprombank fait faillite. La justice russe estime que Pougatchev en est comptable et doit restituer environ un milliard de dollars. «Cela faisait neuf ans que je n’avais plus rien à voir avec la banque», jure l’oligarque, pointant «une histoire montée de toutes pièces». Sauf que la banque qu’il a fondée, dont la licence est retirée en 2010, finançait ses autres entreprises, comme il le détaille dans un courrier de 2014 à Vladimir Poutine. À la télé, Poutine le menace, lui enjoint de «rendre tout ce qu’il a pris», raconte l’ex-conseiller du prince. «Cette émission a été un choc pour moi, le début de l’expropriation agressive.» Outre les chantiers navals, seront gelés ses actifs dans la plus grande mine de coke du monde, qu’il avait développée en Sibérie. Pougatchev est aussi écarté d’un prestigieux projet immobilier sur la place Rouge où devait œuvrer Jean-Michel Wilmotte. La faillite d’Hédiard? Le Kremlin aussi, selon lui, qui l’a privé de liquidités.

Moscou est parvenu à faire geler ses avoirs par la justice britannique. Pour ne pas avoir exécuté les sentences des tribunaux de Londres et avoir quitté le Royaume-Uni, Sergueï Pougatchev a été condamné pour outrage à la justice et encourt jusqu’à deux ans de prison outre-Manche.

La justice française, dans une décision de février 2019 du tribunal de grande instance de Nice, a en revanche empêché la saisie de ses biens en France, par le liquidateur public de la Mejprombank, la DIA. C’est ainsi que l’homme d’affaires garde la jouissance de son château de Gairaut, une demeure construite en 1904 sur les hauteurs de Nice avec vue imprenable sur la baie des Anges, gardée par des bergers malinois qui impressionnent les visiteurs.

En 2015, Pougatchev saisit le tribunal arbitral international de La Haye. Son ex-compagne, la comtesse Alexandra Tolstoï, apparentée au grand écrivain, restée à Londres, lui demande de retirer sa requête, en échange d’un droit de visite à leurs trois enfants. «La mère de mes enfants a été corrompue par les Russes, je n’ai pas vu ma cadette, de 6 ans, depuis trois ans», souffle l’ex-oligarque, le regard perçant gris vert se troublant un instant. Dans la presse britannique, Alexandra s’est plainte de ne pas toucher de pension alimentaire.

Comment, d’ailleurs, assure-t-il son train de vie sur la côte d’Azur, les avocats, la sécurité? Ce jeune grand-père – ses deux fils aînés lui ont donné six petits-enfants nés en France – est d’ordinaire discret sur ses «affaires». Il parle cette fois avec enthousiasme de OPK Biotech, start-up à Boston qui travaille sur le sang artificiel, dont il est actionnaire depuis des années.

À Paris, les trois arbitres (un Colombien nommé par le plaignant, un Espagnol désigné pour la partie russe, un Français) ont convoqué des témoins de prestige. Il y a l’ancien ministre russe des Finances Alexeï Koudrine, actuel président de la Cour des comptes. Et Viktor Zoubkov, ex-premier ministre. Leur venue serait une surprise. Les avocats – sept pour chaque partie sont inscrits sur une ordonnance du tribunal! – se refusent à tout commentaire ; qu’il s’agisse du conseil de Sergueï Pougatchev, Me Jean-Georges Betto, ou, de l’avocat de la Fédération de Russie, David Goldberg, du cabinet londonien White & Case.

L’oligarque peut-il gagner? La justice arbitrale a signé un précédent historique, en 2015, lorsque le tribunal international de La Haye a condamné la Russie à payer la somme gigantesque de 50 milliards de dollars aux actionnaires majoritaires du groupe Ioukos fondé par Mikhaïl Khodorkovski. Cette sentence a été depuis annulée et cette affaire, vieille de quinze ans, est toujours en cours. Sergueï Pougatchev estime son dossier juridiquement plus solide car il s’appuie sur un traité bilatéral, signé entre l’URSS et la France, sur la protection des investissements, du 4 juillet 1989.

L’audience de cette semaine ne sera qu’une étape dans un feuilleton judiciaire qui promet d’être long. Si Pougatchev obtient gain de cause mais que la Russie refuse de payer comme dans la procédure Ioukos, «ce sont les 160 traités bilatéraux de protection des investissements signés par la Russie qui partent en fumée», prévient le banquier déchu. Un signal désastreux pour les entreprises françaises, Total, Renault ou Auchan qui ont investi des milliards en Russie. Selon lui, Emmanuel Macron devrait se servir de son dossier comme d’une carte, un moyen de pression. Sergueï Pougatchev, l’ancien protégé du patriarche orthodoxe, garde la foi en sa cause et en la justice. Même face à son ancien voisin et ami Volodia, il lance: «C’est impossible de perdre».

Le colonel Tcherkaline incrimine dans sa déposition Valery Mirochnikov, l’ex-directeur adjoint de l’Agence de garantie des dépôts.

Le colonel Tcherkaline incrimine dans sa déposition Valery Mirochnikov, l’ex-directeur adjoint  de l’Agence de garantie des dépôts. Ce dernier est accusé d’avoir mis en place un système de protection mafieuse des banques.

Selon l’une des versions du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, une partie des milliards retrouvés chez le colonel du FSB constituait la “part” de l’ex-dirigeant de l’Agence, réfugié à l’étranger.

Témoignage d’officier

L’ex-directeur de la Deuxième section du Département “K” du Service de sécurité économique du FSB, le colonel Kirill Tcherkaline, a dévoilé aux enquêteurs le rôle joué par le Premier adjoint du directeur de l’Agence de garantie des dépôts (“ASV” en russe), Valéry Mirochnikov, dans l’organisation de la “protection” mafieuse des banques. C’est ce que rapporte un proche des deux hommes, interrogé par Open Media. Une source proche de l’enquête confirme ces affirmations. Mirochnikov figure actuellement dans cette affaire comme témoin, mais Tcherkaline insiste que c’est bien le directeur adjoint de l’Agence qui avait mis en place tous les système de protection mafieuse (connue en Russie sous le terme de krycha, le toit – note du trad.). Par ailleurs, selon Tcherkaline, une majeure partie de la somme record de 12 milliards de roubles retrouvés chez les accusés lors des perquisitions, appartiendrait en fait à Mirochnikov. Cet argent était “déposé” chez les membres de la famille de l’officier des services spéciaux. “Il y a maintenant dans cet affaire un homme à qui on veut tout faire porter”, souligne un proche du colonel.

Oleg Chigaïev, l’ex-propriétaire de la banque Baltiysky, indique également dans sa déclaration — qui est actuellement vérifiée par le Comité d’enquête — que Mirochnikov recevait de considérables pots-de-vin. Selon lui, Mirochnikov imposait une procédure d’assainissement à la direction de la banque visée, sous menace de retrait de licence et “d’inévitables problèmes avec les forces de l’ordre”. Sur les montants alloués à l’assainissement, un milliard devait être destiné à Mirochnikov et à ses “superviseurs du FSB, au titre de l’organisation et de la facilitation dе la transaction”.

Mirochnikov avait participé dès le début à la création système d’assurance des dépôts bancaires en Russie. Il avait occupé des postes à la Banque centrale, puis à l’Agence de restructuration des établissements de crédit, dont les fonctions ont ensuite été transférées à l’Agence de garantie des dépôts en 2004. Mirochnikov a commencé au sein d’ASV comme directeur-général-adjoint, puis a été nommé Premier adjoint en 2005; il supervisait à ce moment-là tous les aspects liés à la liquidation et à l’assainissement des établissements de crédit. Les auteurs de l’enquête menée conjointement par les médias Proekt et The Bell citent, sans les nommer, des banquiers qui affirment que Tcherkaline et Mirochnikov leur avaient demandé de l’argent en contrepartie du non-retrait de leur licence bancaire et de la suspension des enquêtes pénales ouvertes contre eux pour détournement de fonds.

Pour le moment, trois personnes ont été mises en examen dans le cadre de cette affaire: Kirill Tcherkaline et deux de ses anciens collègues, Andreï Vassiliev et Dmitri Frolov. Ce-dernier avait précédé Tcherkaline à la tête de la section “bancaire” du FSB. Les trois ont été arrêtés le 25 avril 2019. Tcherkaline est accusé d’avoir fourni des services de “protection générale” à des structures commerciales contre la somme de 850 000 dollars. Les trois sont également soupçonnés d’escroquerie. Le magazine Kommersant note, par ailleurs, que Tcherkaline aurait reçu de l’argent pour la “protection” fournie au co-propriétaire de la banque Transportnyi, Aleksandr Mazanov. Il aurait également fait partie du groupement criminel accusé d’avoir détourné le produit des ventes d’immobilier résidentiel de luxe à Moscou.

Tcherkaline coopère activement avec l’enquête. Selon Rosbalt, l’officier se serait repenti et aurait demandé à conclure un accord préjudiciel. “Des entrepreneurs et des banquiers, qui se sont confrontés au tandem Frolov-Tcherkaline et à leurs complices, à un moment ou un autre, viennent aujourd’hui au FSB pour déclarer les sommes qu’ils avaient dû payer contre cette “protection” et d’autres services. La plupart de ces déclarations ne peuvent toutefois pas être instruites par manque de preuves. La déposition de Tcherkaline permettra, peut-être, de faire avancer l’enquête sur un certain nombre de ces cas, qui se trouve, pour l’instant, au point mort”, a indiqué une source au sein de l’Agence. Par ailleurs, Tcherkaline a accepté de rendre à l’Etat plus de 6 milliards de roubles qui seraient, selon son avocat, “d’origine non prévue par la loi”. L’avocat de Tcherkaline, Vladimir Mikhaïlov a refusé de faire des commentaires sur le déroulement de l’enquête.

Un partenaire en Israël

Le témoin Mirochnikov n’a pas pu être interrogé: les enquêteurs étaient intéressés par la teneur de sa correspondance avec Tcherkaline, mais il ne s’est pas présenté suite à la convocation qui lui a été adressée. L’Agence de garantie des dépôts a fait savoir le 10 juillet que Mirochnikov avait donné sa démission. Selon l’interlocuteur interrogé par Open media, qui connaissait bien l’ancien Premier adjoint, cela faisait déjà plus de deux mois que personne ne l’avait vu à son bureau. Aussitôt après l’arrestation de Tcherkaline et des autres figurants de l’affaire, Mirochnikov avait quitté la pays.  D’ailleurs le colonel du FSB ne parle désormais de l’ex-dirigeant de l’Agence qu’au passé, souligne une ancienne connaissance: “Dans toutes ses dépositions Tcherkaline parle de Mirochnikov comme si ce dernier n’était déjà plus de ce monde”.

Après l’arrestation de Tcherkaline, selon l’une des sources interrogées par les auteurs de l’enquête menée par les médias Proekt et The Bell, Mirochnikov serait d’abord parti en vacances avec sa famille en Australie, puis serait allé en Allemagne. Les enquêteurs pensent qu’ils pourrait actuellement se trouver en Israël, affirme un interlocuteur de Open media proche du Comité d’enquête. Selon lui, Mirochnikov aurait sans doute rejoint son associé en affaires et ancien collègue de l’Agence, Alexandre Dounaïev. Dounaïev a été précédemment cité par l’ex-propriétaire de Mezhprombank, Sergueï Pougatchev: l’ancien sénateur accuse en effet Mirochnikov d’une tentative d’extorsion de 350 millions de dollars, sous menace de représailles physiques et de poursuites pénales. Ces menaces auraient été transmises à Pougatchev en juin 2011 par Dounaïev.

Dounaïev est également mentionné comme “consultant recruté par ASV” dans le témoignage d’Oksana Reinhardt, directrice exécutive pour les marchés émergeants de la société financière japonaise Nomura. En 2012 Reinhardt a fourni un témoignage écrit dans le cadre de l’affaire Pougatchev et en prévision d’un éventuel procès d’arbitrage (par la suite Pougatchev a en effet déposé plainte contre la Fédération de Russie à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye). Open media dispose d’une copie des pièces mentionnées, dont l’authenticité a été confirmée par une source proche de l’enquête.

Etant donné que Nomura était un créancier de Mezhprombank, Reinhardt avait essayé de s’informer auprès de Mirochnikov sur les moyens pour la société japonaise de recouvrer sa créance. Elle affirme que lors du premier entretien le directeur adjoint de l’Agence aurait déclaré qu’il avait l’habitude de “faire pression sur les oligarques ayant quitté la Russie”. Lors du second entretien Dounaïev était également présent, et a déclaré que la question des dettes contractées par les sociétés de Sergueï Pougatchev serait résolue grâce à la vente des chantiers navals Sévernaya. Dounaïev aurait ajouté que seuls les créanciers seraient payés à l’issue de la vente, et que Pougatchev ne pourrait prétendre à aucune part. C’est ce qui s’est passé: en été 2012 les chantiers ont été vendus aux enchères, à un prix huit fois inférieur à celui escompté par Pougatchev.

En 2012 Dounaïev a été mis en examen dans le cadre d’une affaire pénale pour détournement d’un demi-milliard de roubles, mais il a réussi à fuir la Russie. En 2014 il a été arrêté en Israël, mais n’a pas été extradé en Russie, parce qu’une “notice rouge” avait été émise contre lui par Interpol en 2017. Selon les bases de données officielles, Dounaïev demeure recherché par le Ministère de l’intérieur de la Fédération de Russie.

 

LA RÉSERVE FEDERALE Enquête: quand le FSB “protège” les banques

PROEKT – Cycle “Lutte pour la corruption”

LA RÉSERVE FEDERALE
Enquête: quand le FSB “protège” les banques

Anastasia Stogney, Roman Badanine, avec Irina Malkova.
Le 31 juillet 2019

Matériaux recueillis conjointement avec la publication The Bell

1 – Comment les anciens du Service se muent en banquiers

2 – Le FSB et les “changeurs”, même combat

3 – Accaparement des banques par les autorités

4 – Guerres intestines entre services spéciaux

Le colonel du FSB Kirill Tcherkaline et ses anciens collègues ont été arrêtés avec 12 milliards de roubles en leur possession, en cash. Mais cela n’est qu’une partie d’un vaste schéma de “protection” [une forme de racket mafieux, connu en Russie sous le terme de krychévanié – note du trad.], visant le secteur bancaire russe. Les banquiers victimes de ces exactions racontent que des membres de la direction de l’Agence de Garantie des Dépôts, des juristes liés aux services spéciaux, ainsi que des “changeurs” douteux [entités offrant des services de détournement de fonds – note du trad.] participaient à ces exactions au même titre que des officies haut-gradés du FSB.

“Nous avions rendez-vous au café Vogue à Moscou. Tcherkaline (le colonel du FSB Kirill Tcherkaline – note de Proekt/The Bell) est arrivé dans une Range Rover avec chauffeur. Il était en civil, une Rolex au poignet. Je me souviens qu’il a payé toute l’addition, ce qui n’est pas dans les habitudes de ces gens-là”, raconte Aleksandr Gélezniak, ancien copropriétaire du groupe financier Life. Cela fait quatre ans que lui-même et les autres actionnaires de Life résident à l’étranger: leurs banques en Russie se sont vu retirer leurs licences et les actionnaires et les gérants font face à des poursuites pénales.

L’entrevue en question avec Tcherkaline a eu lieu en été 2014. Au déjeuner l’officier du FSB a proposé des modalités de collaboration simples: la banque Probiznesbank, pilier de la structure de Life, accepte de se doter d’un vice-président — un officier du FSB en retraite, lequel disposera, en plus d’un salaire annuel de 120 000 dollars, d’un bureau, d’un assistant personnel et d’une voiture de fonction avec chauffeur [informations figurant dans l’affidavit de Gélezniak, dont Proekt/The Bell ont pu prendre connaissance]. Cela constituait la condition préalable à un accord de plus grande envergure, consistant à céder une participation importante au capital du groupe Life à une entité commerciale, laquelle se chargerait de partager les dividendes avec des fonctionnaires haut-placés au FSB et à la Procurature.

En 2019, Gélezniak, qui se trouvait alors aux Etats-Unis, a fourni un témoignage sous serment pour production devant les tribunaux internationaux, dans lequel il a décrit en détail les évènements ayant affecté le groupe Life [les ex-actionnaires de Life ont diligenté plusieurs procès en Europe et aux Etats-Unis contre les créanciers russes. La rédaction a pu prendre connaissance de l’affidavit de Gélezniak et des dépositions de plusieurs autres gérants du groupe Life]. Son affidavit [témoignage produit par écrit et sous serment], ainsi que les récits d’autres banquiers, jettent quelques lumières sur la façon dont le FSB et d’autres organes de pouvoir rackettent, ou “protègent”, les banques.

Extrait de l’affidavit d’Alexandr Gélezniak
M. Tcherkaline, fonctionnaire depuis de longues années, est arrivé au rendez-vous dans une voiture de luxe avec chauffeur, avec une montre Rolex au poignet. Il a confirmé que la lettre que j’avais adressée au FSB avait été contresignée, et a dit qu’il prenait l’affaire sous son contrôle personnel. Nous avons ensuite mis au points certains aspects logistiques. Le PRBB devait payer un salaire annuel de 120 000 dollars américains au vice-président de la Banque nommé par le FSB, lequel disposerait en outre d’un bureau personnel, d’une voiture de fonction avec chauffeur et d’un assistant personnel.

Racketteurs et rackettés

“Brillant, très intelligent, parfaitement au fait… Je l’aurais engagé sans hésiter, s’il n’y avait pas toutes ces histoires”, c’est ainsi qu’un des grands banquiers russes décrit Tcherkaline. “Mais tous ces garçons cherchent le profit, leur génération est ainsi”, ajoute-t-il.

Lorsqu’en avril de cette année Tcherkaline a été arrêté pour corruption et fraude, ce colonel âgé de 38 ans avait déjà fait une jolie carrière au Service de la sécurité économique au sein du FSB (SEB). A la date de son entrevue avec Gélezniak il occupait le poste de directeur de la section “K”, qui supervisait pratiquement l’intégralité du secteur financier: banques, fonds de pensions, compagnies d’assurance.

Lors de la perquisition au domicile du colonel, les forces de l’ordre ont trouvé 12 milliards de roubles (189,6 millions de dollars) en espèces et objets de valeur [selon une autre version, les 12 milliards de roubles auraient été retrouvés aux domiciles des trois suspects]. C’est un record absolu en matière de biens confisqués à un fonctionnaire russe accusé de corruption.

“Allons, vous connaissez bien ce principe: lorsque rien ne sert de lutter contre un phénomène, il faut en devenir le maître”, explique un interlocuteur ayant personnellement connu Tcherkaline et nombre de ses collègues, en parlant de l’époque où le FSB cherchait à asseoir sa domination sur le marché bancaire. C’était le début des années 2000, l’époque où le marché des “changeurs” en Russie était en croissance exponentielle.

Selon une source proche du FSB, la section “K” avait deux modes d’interaction officieuse avec les banques: une commission sur les fonds détournés, correspondant à 0,1-0,2% du montant d’une transaction; ou bien des pots-de-vin fixes et des rétro-commissions pour des infractions ponctuelles. Les banques qui détournaient des fonds se voyaient imposer un “abonnement” par la section “K”, raconte un ancien copropriétaire d’une banque de première importance, dont la licence a été retirée.

Pour percevoir son pourcentage, le FSB installait un “racketteur détaché”, un officier du FSB en retraite, qui était le plus souvent nommé directeur du service de sécurité économique de la banque; c’est lui qui assurait le contrôle de tous les flux financiers. Il pouvait ainsi “garder les choses en main”. En outre, le “racketteur détaché” était également chargé de recueillir des informations sur le marché [indique le même interlocuteur que précédemment].

Le système n’était pas clos: il aurait été impossible de contrôler à soi seul l’intégralité du secteur bancaire. Pour contrôler le marché du “change”, autrement dit du détournement, il fallait trouver des espèces, explique une source proche du FSB. Pour ce faire la section “K” devait collaborer avec les sections régionales du FSB. Dans les régions, en particulier dans le Sud de la Russie, où la part du marché “gris” est considérable, il a toujours été moins cher et plus facile de se procurer des espèces, toujours selon cette même source. “Admettons qu’une banque de Moscou ait un réseau de filiales régionales éloignées; ces-dernières se chargent d’accumuler des espèces qu’elles transfèrent au siège. Le siège a accès à de plus gros clients, auxquels il vend ces espèces; une partie du bénéfice est reversée aux filiales régionales, vu qu’elles n’ont que peu de clients de ce calibre-là dans les régions”, raconte notre interlocuteur.

Pour le transport de fonds à Moscou, c’étaient les membres des groupes spéciaux “Alpha” et “Vympel” du FSB, qui donnaient un coup de main en prenant sur leurs heures de travail. “Ils prenaient un congé maladie, et le véhicule de transport était prétendument envoyé en révision technique” [indique une source proche du FSB, décrivant le schéma de fonctionnement logistique]. Il fallait évidemment coopérer aussi avec le Service d’inspection interne du FSB, qui se rendait bien compte du business que faisaient tourner leurs collègues.

Quel rapport avec Navalny?

En mai 2019 Tcherkaline a accueilli les membres de la société civile qui étaient venus lui rendre visite dans sa cellule de la prison de Léfortovo, où il se trouve en détention provisoire, vêtu d’un survêtement Givenchy. Le colonel avait entre temps transformé sa cellule pénitentiaire en “cellule monacale”, en placardant les murs d’icônes [selon le magazine Kommersant].

Service de la sécurité économique de FSB (SEB)

Le SEB est l’un des services les plus influents au sein du FSB. On le retrouve derrière presque toutes les affaires à retentissement de ces dernières années, de l’arrestation d’Alekseï Oulioukaïev et des frères Magomédov, à l’affaire de la “cocaïne argentine”. Et le poste de directeur du SEB a servi d’excellent tremplin à plus d’une carrière.

Directeurs successifs du SEB

1998 Aleksandr Grigoriev
Membre de la section du FSB pour la ville de Leningrad depuis 1975, où il a servi aux côtés de Vladimir Poutine. Ami de ce dernier, selon les médias. Décédé en 2008.

1998 Nikolaï Patrouchev
Directeur du Ministère de la sûreté de la Carélie (où travaillait Zaostrovtsev). Directeur du FSB de 1999 à 2008. Actuellement Secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie.

1999 Viktor Ivanov
Membre de la section du FSB pour la ville de Leningrad depuis les années 1970. Au milieu des années 1990, chef de la Direction des organes administratifs à la Mairie de Saint-Pétersbourg (Poutine était alors adjoint du maire de Saint-Pétersbourg, A. Sobtchak). A dirigé le FSKN (Section de lutte anti-stupéfiants) jusqu’en 2016.

2000 Ioury Zaostrovtsev
Diplômé de l’Ecole du KGB de Leningrad. Fonctionnaire au Ministère de la Sûreté de la Carélie au début des années 1990 (ministère dirigé à l’époque par Patrouchev). Connaît bien Poutine (cf. Kommersant); Poutine dirigeait le comité des relations extérieures de la Mairie de Saint-Pétersbourg lorsque Zaostrovtsev était en poste en Carélie.

2004 Aleksandr Bortnikov
Directeur en exercice du FSB depuis 2008.

2008 Ioury Iakovlev
A quitté le SEB presque en même temps que Voronine (RBK). Actuellement vice-président chargé des questions de sécurité à Rosatom.

2016 Sergueï Korolev
Directeur en exercice du SEB. A contribué à la nomination de Tkatchev [selon les données du Centre de direction des enquêtes (TSUR)].

La Section “K”
L’une des sections principales du SEB. Responsable des banques, assurances et fonds de pension.

Jusqu’en 2016 Viktor Voronine
A démissionné lorsque l’un de ses subalternes s’est retrouvé impliqué dans une affaire de contrebande. Inclus dans la “loi Magnitski”. A donné le feu vert au poursuites pénales contre Hermitage Capital. En 2019 nommé directeur-général adjoint pour l’interaction avec les organes d’Etat chez un sous-traitant de Rosatom.

Depuis 2016 Ivan Tkatchev
Directeur en exercice de la Section “K”. A fait son service militaire dans les garde-frontières en Carélie, avec l’ex-directeur adjoint du Service d’inspection interne du FSB Oleg Féoktistov [selon les données du TSUR]. Avant d’être nommé à la Section “K”, il a dirigé le 6ème Bureau du Service d’inspection interne du FSB, “les Commandos de Setchine” [surnom donné par le TSUR et les interlocuteurs de Proekt/The Bell]. C’est lui-même qui a donné l’ordre d’intercepter le véhicule d’Oulioukaïev.

Département bancaire
Fait partie de la Section “K”

Avant 2013 Dmitry Frolov
Le journal Novaïa Gazéta a découvert que sa famille était propriétaire d’une maison non déclarée et de quatre terrains en Italie. Peu avant la publication du présent article Frolov a été limogé pour “perte de confiance”.

2016 Kirill Tcherkaline
A succédé à Frolov. “Tcherkaline est, pour ainsi dire, le disciple de Frolov, qui l’a élevé” [indique l’interlocuteur de Proekt/The Bell]. Arrêté au printemps 2019.

Jusqu’alors Tcherkaline ne donnait pas l’impression d’être un homme particulièrement religieux à ceux qui le croisaient. Sur les quelques photos publiées sur des pages Telegram, il fait plutôt l’effet d’un bon-vivant: il pose dans des stations de villégiature en Europe, portant des vêtements bien coupés et chargé de sacs provenant de boutiques de luxe. “Il savait être affable, mais c’était le type de personne avec qui on voulait aussitôt couper toute relation”, se rappelle aujourd’hui Gélezniak. Pour les amis d’enfance Aleksandr Gélezniak et Sergueï Léontiev, co-propriétaires du groupe Life, la rencontre avec Tcherkaline s’est très mal terminée. Après l’entrevue de 2014 au café Vogue, les associés ont accepté d’intégrer un “racketteur détaché” à la Probiznesbank. Gélezniak a lui-même adressé une lettre formulant cette demande à Viktor Voronine, qui dirigeait à l’époque la Section “K”. Aux dires de Gélezniak, il aurait agi ainsi sur les conseils du copropriétaire de la concessions automobile Avilon, un certain Kamo Avagoumian, un client VIP de la banque et une connaissance de longue date de Gélezniak [la rédaction a adressé une demande au représentant d’Avilon, restée sans réponse à ce jour]. Ladite lettre, comme l’affirme Gélezniak, aurait été contresignée par Voronine [Proekt/The Bell ont envoyé une demande à l’adresse postale de la société Fizpribor, qui emploie actuellement Voronine, ce dernier ayant quitté le Service en 2016. La demande est restée sans réponse]. Mais les propriétaires de Life ont refusé de céder des parts du capital.

Gélezniak affirme qu’au moment des faits les banques du groupe étaient financièrement stables, même si en 2014 le groupe Life avait accusé plusieurs milliards de roubles de pertes. Les chiffres de Probiznesbank relatifs aux prêts arriérés aux personnes physiques et morales étaient très largement au-dessus de la moyenne nationale [d’après Vedomsti]. Vers la fin de l’année l’agence de notation Finch a annulé les notes de Probiznesbank. Les inquiétudes à l’époque étaient surtout liées au portefeuille de titres dans lequel Probiznesbank avait investi 47 milliards de roubles, autrement dit près de la moitié de ses actifs; les titres étaient en majeure partie déposés chez des dépositaires chypriotes. La crise poussait les autres banques à vendre frénétiquement pour garder des liquidités, et seul le portefeuille de Probiznesbank demeurait pratiquement immobile [se rappelle l’analyste de Fitch Aleksandr Danilov]. Ce qui n’a pas, non plus, manqué de susciter des interrogations chez la Banque centrale.

En septembre 2014 le régulateur bancaire a retiré la licence de la Bank24.ru, appartenant aux propriétaires du groupe Life, puis, l’année suivante, la licence de Probiznesbank lui-même. Bank24.ru a perdu sa licence pour avoir enfreint les lois anti-blanchiment, bien qu’au moment du retrait de la licence l’actif de la banque était de 2 milliards de roubles supérieur au passif. Selon Gélezniak, la banque n’avait aucune activité de blanchiment, et ce qui lui était reproché par le régulateur n’étaient en fait “que cinq opérations bancaires, dont la banque n’a pas informé la Banque centrale en temps voulu”. Selon les informations avancées par le régulateur, Probiznesbank aurait placé ses fonds dans des “actifs de basse qualité” et aurait “entièrement perdu son capital”; de même, l’administration judiciaire aurait révélé des opérations d’envergure présentant des signes de détournement de fonds. Le régulateur aurait en fin de compte estimé le “trou” dans les comptes de Probiznesbank à près de 35 milliards de roubles. “Aujourd’hui la Russie n’est pas encore prête pour un groupe comme Life”, a écrit Léontiev dans le blog interne de la société. “Il faut croire que l’époque des sociétés telles que Life n’est pas encore arrivée dans ce pays. C’est pourquoi je m’en vais faire prospérer Life dans d’autres lieux du globe pour les cinquante ans à venir.” Ni lui, ni Gélezniak ne sont jamais retournés en Russie depuis.

Dans son témoignage Gélezniak explique la chute de son entreprise bancaire par des raisons politiques. En 2012 les dirigeants de Life avaient convié Alexeï Navalny à une session de réflexion stratégique destinée au management. A cette époque, la banque Bank24.ru qui faisait partie du groupe a souhaité soutenir le leader d’opposition en lançant en cachette la “carte de crédit Navalny” — 1% du montant de chaque achat effectué au moyen de la carte était reversé au Fonds anti-corruption institué par Navalny. [Cette idée a effectivement été discutée avec le Fonds FBK, mais elle n’a jamais été mise en pratique et aucun transfert n’a jamais eu lieu, a indiqué le porte-parole de Navalny, Kira Iarmych.] L’action n’est pas restée clandestine très longtemps: dès que les médias en ont eu vent, l’ancien chef de département à la Banque centrale, Alexeï Pliakine, a averti Gélezniak que ce genre de collaboration susciterait “de très nombreuses questions” de la part de la Banque centrale et de la Procurature [indique Gélezniak dans son témoignage; le service de presse de la Banque centrale n’a pas fait de commentaires au sujet de cet épisode]. Il a fallu renoncer à soutenir Navalny, mais “le Kremlin n’a pas oublié l’incident” [affirme Gélezniak dans son témoignage].

Le licences des banques ont été retirée, mais les problèmes de Léontiev et Gélezniak ne faisaient que commencer.

Le FSB et les “changeurs”

Le système dont le groupe Life a déclaré avoir souffert, a notoirement mis plusieurs années à s’établir, et les banques ont dû s’en accommoder — en particulier celles qui faisaient du “change” et aidaient au détournement de fonds [indiquent les interlocuteurs de Proekt/The Bell sur la place financière].

Pour Mikhaïl Zavertiaïev, l’ex-président du conseil d’administration de la banque Intelfinans, qui a périclité en 2008, l’interaction avec la Section “K” a commencé par une rencontre avec Evguéni Dvoskine, l’un des banquiers russes les plus odieux, désigné par l’agence Bloomberg comme “l’une des figures clé du ‘change’”, ayant des liens avec le FSB et la mafia.

Au début du mois de décembre 2007 deux individus sont entrés dans le bureau de Zavertiaïev; curieusement, ils étaient arrivés au siège de la banque dans une ambulance. Le premier était Dvoskine, le deuxième son garde du corps. “Une démarche à-la-mafieux, puis une phrase: ‘C’est celui-là? C’est lui qui ne sait pas comment il faut parler aux gens?’”: c’est le souvenir que Zavertiaïev a gardé de l’acolyte de Dvoskine. La veille de leur visite le banquier dit avoir surpris son comptable en chef en flagrante tentative d’accorder un prêt à une société écran, supposément affiliée à Dvoskine.

“Dvoskine s’approche, me donne une gifle magistrale, je lui assène un coup de coude, il s’écroule. La seule idée qui me traverse l’esprit: il est tombé à coté de ma mallette, dans laquelle il y a les documents; il va les prendre et partir en courant. Je me penche pour prendre la mallette, mais un coup de pistolet sur le crâne me fait perdre connaissance”, telle est la version de l’incident fournie par Zavertiaïev.

Au cours des deux mois qui ont suivi, on aurait détourné près de 11,7 milliards de roubles de la banque, selon son estimation. (10 millions sur ce montant auraient finalement été incriminés au comptable en chef d’Intelfinans, qui a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis.) Pendant cette même période des inconnus ont incendié la voiture de la femme de Zavertiaïev, qui a été contraint de cantonner les membres sa famille à la maison de campagne et d’engager des gardes du corps pour les protéger [selon le banquier].

Zavertiaïev affirme que les fonds étaient détournés au moyen d’une signature contrefaite, bien qu’il avait personnellement, alors qu’il était hospitalisé, “averti la Banque centrale que la banque était braquée, et demandé une suspension de licence afin de prévenir des actes de fraude”. Mais le régulateur n’a pas voulu accéder à sa demande: “Le vice-président de la Banque centrale Guénnadi Mélikian a expliqué qu’ils n’avaient jamais été confrontés à de telles demandes et ne savaient pas comment agir en ces circonstances” [a indiqué Zavertiaïev]. Mélikian a ensuite déclaré au journal Vedomosti avoir “réagi très rapidement dans le cas d’Intelfinans, d’autant plus que tout le monde était en vacances jusqu’au 10 janvier”. Lors du retrait de la licence la Banque centrale a fait savoir que les dirigeants et collaborateurs de la banque ont “de fait mis fin aux activités de celle-ci, à la suite de quoi il s’est créé une situation de nature à nuire aux intérêts des créanciers et des déposants de la banque”.

Environ six mois après l’incident Zavertiaïev a rencontré deux membres de la Section “K”: Frolov et Tcherkaline. L’ex-banquier affirme par ailleurs que le premier adjoint du directeur du KGB, Sergueï Smirnov, était également présent à l’entretien.

La rencontre a eu lieu au restaurant Palazzo Ducale, sur le boulevard Tverskoï. “Qu’est-ce que vous prendrez? Une petite salade? Seulement de l’eau? Allons, prenez au moins une petite salade!” — ses interlocuteurs étaient délicieusement prévenants, raconte Zavertiaïev. L’entretien avait, selon lui, deux objectifs: comprendre s’il avait des preuves de la visite de Dvoskine, et si oui, lesquelles; et, d’autre part, le convaincre de cesser toute tentative de recouvrer l’argent détourné. Il lui a semblé que les fonctionnaires du FSB connaissaient très bien Dvoskine. “Calme-toi, voyons! Nous l’avons déjà mis à la porte”, aurait dit Smirnov à propos du garde du corps de Dvoskine, en essayant de rasséréner Zavertiaïev. A la fin de l’entrevue les gens du FSB auraient proposé au banquier une compensation monétaire pour récupérer sa société.

Zavertiaïev raconte avoir lancé des poursuites judiciaires contre tous, et surtout contre Dvoskine, avec l’acharnement d’un désespéré. Mais il n’a finalement pas gagné un seul procès. Dvoskine a réussi à prouver qu’il ne pouvait avoir assailli Zavertiaïev, puisqu’il était à ce moment-là en train de témoigner dans le cadre d’une autre affaire pénale, dans laquelle il était partie civile. Ses dires ont été confirmés par les enquêteurs et par le relevé d’appels de son téléphone portable. En répondant aux questions de Proekt et de The Bell, Dvoskine a déclaré que Zavertiaïev a tout inventé, que le prétendu épisode avec la bagarre n’a jamais eu lieu, et qu’ils se sont rencontrés pour la première fois au moment de la confrontation judiciaire.

Dvoskine était protégé par le FSB, affirment deux sources proches de deux organes du pouvoir différents. Dvoskine lui-même dans l’entretien avec Proekt et The Bell a rappelé qu’il était recherché à l’étranger [on sait que la banque de Dvoskine est tombée sous le coup des sanctions étrangères à cause de sa présence en Crimée], et, lorsqu’on lui a demandé s’il était réellement sous la protection du KGB, il a raccroché le combiné. “Le Service a toujours gardé des ‘changeurs’ sous la main; ils en faisaient des informateurs, pour éviter d’avoir à les mettre eux-mêmes en prison”, a expliqué l’un de nos interlocuteurs. Parmi les “changeurs” il cite l’ancien co-propriétaire de Kreditimpeksbank Alexeï Koulikov, condamné il y a plusieurs années à neuf ans d’emprisonnement pour fraude. A première vue Kreditimpeksbank faisait piètre impression: une salle principale à moitié vide, une vingtaine de bureaux chichement meublés et un gardien taciturne. Mais au milieu des années 2000, cette banque occupait une importante part du marché du “change”, aux dires d’un interlocuteur proche du FSB. Comme dans de nombreuses autres banques, le service de sécurité y était dirigé par un ancien collaborateur de la Section “K” en retraite. Sa commission était de 0,2-3% de toutes les transactions opérées par la banque. Plusieurs fois la Banque centrale avait manifesté des inquiétudes au sujet de Kreditimpeksbank, mais le département bancaire du FSB avait réussi à régler la question [indique un interlocuteur de Proekt/TheBell]. Au moment du retrait de sa licence, le défaut de capital était estimé à 229 millions de roubles; près de deux millions ont été trouvés au domicile de Koulikov.

Il semblerait que les activités occultes supposées du département bancaire du FSB ne se limitaient pas à contrôler le marché du “change”. Tcherkaline était en contact étroit avec les dirigeants de presque toutes les banques majeures de Russie. Alexeï Khotine, l’ex-propriétaire de la banque Iougra, qui a récemment fait faillite [Khotine, selon RosBiznesKonsalting, a été assigné à résidence dans le cadre de l’affaire sur le détournement des fonds de Iougra], a affirmé dans son témoignage devant la justice avoir payé pendant trois ans des commissions à Tcherkaline en échange de sa protection [ces informations ont été publiées par RosBiznesKonsalting, mais la défense de Khotine les nie et affirme avoir porté plainte contre RosBiznesKonsalting].

La protection du FSB, comme le montre l’exemple de Iougra n’était nullement une garantie de la survie perpétuelle de la banque. D’autant plus que pour les collaborateurs de la Section “K”, la faillite d’une banque n’était qu’une occasion de plus de faire de l’argent.

L’Agence de garantie dépôts (de vin)

“350 millions de dollars n’est pas un prix si élevé pour votre vie et celle de vos proches”, telle était la proposition faite à l’ex-propriétaire de Mezhprombank Sergueï Pougatchev en 2011 par des collaborateurs de l’ex-directeur adjoint de l’Agence de garantie des dépôts (ASV) Valery Mirochnikov. [C’est ce que raconte Sergueï Pougatchev lui-même. Les avocats de Sergueï Pougatchev relatent cette histoire devant différents tribunaux depuis 2014, date à laquelle ASV a commencé la chasse aux actifs de l’ex-banquier. Mirochnikov a déjà répondu à ces griefs, notamment devant la justice, où il a réfuté toutes les accusations de Pougatchev et déclaré que ce dernier l’avait lui-même menacé de mort à travers ses intermédiaires].

ASV s’occupe des banques qui ont déjà fait faillite: le rôle premier de l’agence est de recouvrer les fonds restés “coincés” dans ces banques. Or pour ce faire il faut piocher dans la poche de l’Etat. En quinze ans, depuis qu’ASV a commencé à s’occuper de la liquidation et de l’assainissement des banques russes, 500 milliards de dollars sont sortis du système bancaire [publié par Republic sur la base des données de la balance des paiements de la Russie]; quant à l’Agence elle-même, elle a reçu 1 billion de roubles de plus (près de 16 milliards de dollars) [selon les données d’ASV] aux fins d’assainissement des banques faillies. De tels montants laissent le champ libre à bien des manœuvres.

Comme le prouvent les récits de Gélezniak et d’un autre banquier, Mirochnikov connaissait bien Tcherkaline. Gélezniak se souvient fort bien d’un entretien où l’un et l’autre étaient présents. Sans nul embarras face à leur interlocuteur, les deux fonctionnaires discutaient pour savoir “dans quelle banque mise en faillite on allait placer quel administrateur judiciaire”.

Mirochnikov a été appelé à comparaître comme témoin dans l’affaire Tcherkaline: cette décision a été prise par l’enquêteur après qu’il ait examiné la correspondance téléphonique des deux hommes [selon RosBiznesKonsalting]. Mais aussitôt après l’arrestation de Tcherkaline, Mirochnikov a quitté la Russie et n’y est jamais reparu (selon son entourage il serait d’abord allé en Australie, puis en Allemagne “pour recevoir des soins médicaux”). Deux mois plus tard l’Agence a annoncé sa démission, sans en indiquer les raisons.

Pougatchev, quant à lui, a même écrit une lettre à Poutine pour se plaindre des fonctionnaires d’ASV qui auraient cherché à lui extorquer 350 millions de dollars. En contrepartie de cette somme les représentants de Mirochnikov avaient proposé leurs services pour préserver une partie des avoirs de Pougatchev non liés à Mezhprombank, mais nantis à titre de garantie. Selon Pougatchev, les hommes de Tcherkaline agissaient en tandem avec ceux d’ASV. Le marché proposé était extrêmement simple. “A ce moment-là, suite à la faillite de Mezhprombank, une enquête pénale avait été ouverte contre X, mais on m’a clairement fait comprendre que ce cercle de personnes ‘non identifiées’ serait identifié très rapidement et que je pourrais en faire partie”, affirme Pougatchev. Les hommes du FSB auraient demandé la somme de 20 millions de dollars pour empêcher que cela ne se produise. Pugatchev dit avoir refusé de payer.

Pougatchev a, certes, au moins une raison d’éprouver de la rancune envers l’Agence et, éventuellement, de la calomnier: après son départ, ASV a réussi à obtenir le gel de ses avoirs pour près de 2 milliards de dollars. Mais Gélézniak dans son témoignage fournit des détails très similaires sur la collaboration entre Tcherkaline et Mirochnikov.

En 2016, après que Probiznesbank ait perdu sa licence et ses propriétaires aient quitté la Russie, Gélézniak aurait été contacté par Mirochnikov, qui lui aurait suggéré de prendre contact avec un certain Artem Zouïev [Gélezniak a montré à la rédaction le SMS correspondant envoyé depuis le numéro de Mirochnikov]. Mirochnikov aurait décrit Zouïev comme un associé du Groupe Quorum, mais Gélezniak a indiqué au tribunal dans sa déposition que Zouïev est “un raider institutionnel connu”. L’autre associé de Quorum [selon les données du registre SPARK] est l’avocat Andreï Pavlov, qui s’est rendu célèbre en participant à l’affaire de Sergueï Magnitski, à la suite de quoi il est tombé sous le coup des sanctions américaines. Pavlov, d’après les publications de Novaïa Gazéta, aurait été étroitement lié avec les structures des forces de l’ordre.

Le rendez-vous avec Zouïev devait avoir lieu à l’aéroport de Zürich, en Suisse. Zouïev a insisté pour que l’entrevue se passe tête-à-tête et l’avocat de Gélezniak a dû attendre à l’écart. Zouïev a fait savoir à Gélezniak qu’il était mandaté pour agir au nom de Quorum, laquelle avait été désignée administrateur judiciaire de Probiznesbank. Ce mandat, selon Zouïev, aurait reçu l’aval de Mirochnikov et de Tcherkaline. L’émissaire a donc proposé un marché: Léontiev et Gélezniak font une liste complète de leurs actifs, rentrent à Moscou et coopèrent avec les autorités russes. Ils seront condamnés à trois-quatre ans d’assignation à résidence, après quoi une compensation leur sera payée de la masse des actifs récupérés, dont Quorum aura, bien sûr, également sa part. Dans le cas contraire Zouïev a promis que Gélezniak et Léontiev feraient l’objet de “poursuites internationales”. “On ne vous laissera pas tranquilles – ce n’est pas une vie!”, aurait-il dit. Après cet entretien à Zürich Gélezniak a téléphoné à Mirochnkov en lui demandant quel était l’objectif de cette rencontre. “Nous voulons vous aider”, aurait répondu celui-ci [tiré de l’affidavit de Gélezniak].

Les propriétaires de Life ont refusé cette “aide”; Quorum continue à traquer leurs actifs dans le monde entier. Récemment les anciens gérants de Probiznesbank ont été condamnés à des peines de prison réelles: de trois à sept ans d’emprisonnement [indique Kommersant]. C’est Mirochnikov lui-même qui a adressé à Voronine une demande de poursuites pénales contre de Life [Proekt/TheBell disposent de ce document].

Luttes au sein de l’espèce

Le montant des prétentions qui ont envoyé Tcherkaline et ses collaborateurs derrière les barreaux est sans commune mesure avec l’ampleur des leurs activités, ni avec les 12 milliards retrouvés chez eux. Tcherkaline est accusé d’avoir reçu un pot-de-vin de 50 millions de roubles; quant aux deux autres complices mis en examen, ils sont accusés d’avoir accaparé des actifs du promoteur immobilier moscovite Sergueï Gliadelkine, pour un montant total de 499 millions d’euros.

Le personnage en question ne jouit pas d’une grande notoriété, mais c’est une figure ancienne du marché extrêmement fermé de la promotion immobilière à Moscou. “Un bourreau de travail, qui a gagné ses millions à la sueur de son front”, a écrit à propos de lui le journal Ekspress-Gazeta, dans laquelle ses photos apparaissent de temps à autre, grâce à sa femme Evguénia Krioukova, comédienne au théâtre Mossovet. Avant 2005 Gliadelkine était à la tête de l’entreprise d’état Moskva-Tsentr, où il supervisait la construction du centre-ville de Moscou; il était entre autre chargé de répartir les terrains à Ostozhenka, dans le fameux triangle d’or, atteignant les prix les plus élevés au mètre carré de la capitale.

L’arrestation de Tcherkaline n’est pas la première affaire qu’on doit à Gliadelkine. En 2010 une enquête pénale visant le vice-maire de Moscou Aleksandr Riabinine a été ouverte à sa demande. Lorsque l’avocat de Riabinine, qui a été condamné à trois ans de prison avec sursis, a demandé à Glidelkine au cours de l’audience depuis combien de temps il travaillait pour le FSB et s’il avait été décoré pour les missions accomplies, Gliadelkine a rétorqué: “Je ne répondrai pas à ces questions, car j’ai signé un accord de confidentialité”.

Outre la promotion immobilière, Gliadelkine œuvre avec profit dans d’autres domaines. En 2017, le numéro de téléphone d’Avenue Group, l’une des sociétés de Gliadelkine, était visible sur les toilettes publiques payantes “couleur or”, installées un peu partout dans la capitale à la place des anciennes cabines bleues, jugées obsolètes et “dépassées”. Glidelkine aurait également mené à bien des projets communs avec Igor Tchaïka, le fils du Procureur général de la Fédération de Russie Youri Tchaïka. [En 2013 Tchaïka et Gliadelkine ont immatriculé une société intitulée Tekhno-R-Region qui prévoyait des activités de collecte et de retraitement des déchets. Tchaïka avait déclaré en 2017 n’avoir jamais eu d’activités liées au retraitement, et après l’enquête menée par le Fonds de lutte anti-corruption ses structures ont cédé leur participation aux gérants de Gliadelkine. Pour autant, Tchaïka a ultérieurement acquis une participation dans l’une des plus entreprises les plus importantes du secteur de recyclage des déchets, Khartia. L’une des usines de traitement des déchets était précédemment dirigée par le propriétaire de la société qui a gagné le contrat pour l’installation des fameuses toilettes “en or”.]

Tchaïka-père est d’ailleurs mentionné dans l’affidavit de Gélezniak. Aux dires du banquier, la part du capital de Life qu’on a cherché à lui extorquer était destinée à ce que les “deux oiseaux” classent sans suite les poursuites lancées contre les actionnaires du groupe. Les “deux oiseaux” était une façon de désigner les Procureur général Tchaïka et le chef du Service de sécurité économique du FSB de l’époque, Voronine [indique Gélezniak] [“Tchaïka” signifie “mouette” en russe et “Voronine” est un patronyme dérivé de “corbeau”- note du traducteur]. La Procurature générale n’a pas souhaité répondre aux questions de Proekt/The Bell.

L’ancien poste de Voronine à la tête de la Section “K” est aujourd’hui occupé par le général Ivan Tkatchev, célèbre pour le rôle qu’il a joué dans les enquêtes sur la plupart des grosses affaires de corruption de ces derniers temps. Il avait déjà Tcherkaline dans son collimateur lorsqu’il était encore en poste au Service de l’inspection interne du FSB [selon RBK]. Les médias ont rapporté que Tkatchev et son chef Sergueï Korolev, qui dirige aujourd’hui l’ensemble du SEB, sont en conflit avec les hommes de Voronine et de son ami Smirnov, chef adjoint du FSB — celui-là même qui aurait assisté, d’après le banquier Zavertiaïev, à l’entrevue au restaurant Palazzo Ducale. [Le conflit entre les deux groupements à l’intérieur du FSB a été décrit, entre autres, par Open Media.]

“C’est une lutte au sein de l’espèce”, conclut laconiquement un entrepreneur ayant de bonnes relations avec les structures des forces de l’ordre. Une vision des choses que corrobore un banquier russe de premier plan qui connaissait bien les officiers arrêtés.

D’ici deux ans et quelques mois le directeur du FSB Aleksandr Bortnikov fêtera ses 70 ans, l’âge limite pour pouvoir occuper ce poste. Cela veut dire que le clan qui prendra le dessus dans la lutte pour son fauteuil “sera maître de tout” [affirme un banquier russe de première importance, ayant bien connu Frolov et Tcherkaline].

Mirochnikov est “quelqu’un de très riche” d’après son entourage. Nous avons passé en revue son patrimoine immobilier — uniquement les biens qu’il possède en Russie. Le fils de cet ancien directeur-adjoint d’ASV, prénommé Maxime, âgé d’à peine 22 ans, possède une maison de 400m2 et un terrain dans le village de Fominskoïé, non loin de Troïtsk. D’après les documents officiels, il s’agit d’un cadeau que lui aurait fait la mère de Valery Mirochnikov, Tatiana Mirochnikova. Madame Mirochnikova est âgée de 68 ans et n’a jamais eu d’activité économique (si l’on en croit le registre SPARK), ce qui ne l’empêche pas de posséder trois appartements dans le centre de Moscou: deux dans la résidence Imperski Dom dans la rue Iakimanka, d’une surface totale supérieure à 500m2, et un appartement de 200m2 dans la résidence Ostozhenka Park Palace. Mirochnikov lui-même est propriétaire d’un appartement de grand luxe au 6ème étage de la résidence La Defence dans la quartier de Khamovniki. L’ensemble pourrait valoir plus d’un milliard de roubles.

« Homme dangereux »: le banquier disgracié Pougatchev parle du chef adjoint de la DIA qui a quitté la Russie

Le banquier disgracié, Sergueï Pougatchev, a été le premier à accuser publiquement l’ancien directeur général de l’assurance-dépôts Valery Miroshnikov, qui a quitté le pays, d’extorsion. Forbes s’est entretenu avec l’ancien banquier

Interfax a annoncé le départ de Miroshnikov du poste de premier chef adjoint de la DIA après 15 ans de travail le 10 juillet, citant ses propres sources. Selon Kommersant, Miroshnikov serait lié à l’affaire du colonel Kirill Cherkalin, du FSB, et aurait quitté le pays le jour de l’arrestation de l’officier. Cherkalin a été arrêté le 25 avril 2019. Il est accusé d’avoir touché un pot-de-vin de 850 000 $. Il est accusé de fraude, lors d’une perquisition on a trouvé 12 milliards de roubles d’argent et d’objets de valeur, ainsi que chez deux de ses deux collègues.
Lorsque Cherkalin a été arrêté, Miroshnikov, selon The Bell, était en vacances en Australie, puis a déménagé en Allemagne. Selon Pougatchev, Miroshnikov est maintenant en Israël. Comme l’ont écrit The Bell and Project, se référant à deux anciens banquiers, avant de révoquer les licences des banques, Cherkalin et Miroshnikov leur ont proposé de résoudre les problèmes d’argent pour l’avenir. Pougatchev a également reçu de telles offres, dit-il.
« C’est qui, Obama ? »
Pour la première fois, le fondateur de Mezhprombank a entendu parler de Miroshnikov à l’été 2010, explique l’ancien banquier à Forbes. À ce moment-là, les autorités discutaient déjà de l’achat des actifs de construction navale de l’ex-sénateur depuis plus de six mois. Selon Pougatchev, la banque centrale était censée donner l’argent suite à l’accord, mais la décision a été retardée.
A cette époque, plusieurs personnes proches de la Banque centrale sont venues voir Pougatchev et ont déclaré qu ‘ »il y a quelqu’un qui peut l’aider ». Pougatchev, qui avait la réputation d’être un « banquier du Kremlin » et était proche de tous les hauts fonctionnaires, s’est étonné de ne pas avoir rencontré une telle personne: « C’est qui, Obama? » Les interlocuteurs auraient déclaré qu’il s’agissait de «Valera Miroshnikov», capable de «tout accélérer à la Banque centrale».
Pougatchev a tenté de s’enquérir de Miroshnikov auprès de son chef, Alexander Turbanov, alors à la tête de la DIA. Il aurait recommandé de ne pas frayer avec ce subordonné. Quelques sources plus connues de Pougatchev ont décrit Miroshnikov comme une « personne dangereuse » ayant des connexions au sein du FSB. Cependant, le besoin de contact avec Miroshnikov a bientôt disparu. En juillet, Mezhprombank a perdu sa licence et en 2011, Pougatchev a quitté la Russie.
350 millions de dollars pour le chef adjoint Miroshnikov
Ensuite, Pougatchev a entendu parler de Miroshnikov en mai 2011. Puis l’homme d’affaires Gore Khechoyan est venu en France pour représenter les intérêts du directeur adjoint. Il a proposé d’aider à restituer l’argent des actifs de construction navale qui ont été transférés à la Banque centrale pour les dettes de Mezhprombank, dit Pougatchev. En contrepartie de la médiation, Khechoyan aurait demandé 5 millions de dollars, que Pougatchev a donné à sa société sous forme de prêt.
Un mois plus tard, Pougatchev a rencontré d’autres représentants de Miroshnikov, un ancien employé de la DIA, Mikhail Bashmakov, et un homme d’affaires, Alexander Dunaev. Miroshnikov lui-même devait participer à une réunion dans l’un des restaurants du port de Monaco. En fait, les choses se sont passées différemment.
Pougatchev, qui est arrivé au port, a été informé que les plans avaient changé et que les négociations se dérouleraient sur un yacht. Les négociateurs ont également persuadé l’ex-sénateur de laisser ses trois gardes du corps et son téléphone sur le rivage. Lorsque le yacht avec l’invité a quitté la côte, Bashmakov aurait promis 3,5 milliards de dollars à Pougatchev grâce à la vente de ses anciens actifs dans le secteur de la construction navale. Il a estimé ses services à 10% du montant, soit 350 millions de dollars.
Pougatchev a rejeté la proposition et a personnellement exigé Miroshnikov, qui ne s’est jamais présenté. Ensuite, Bashmakov aurait parlé au directeur adjoint par téléphone. Après cela, le ton de la conversation a changé, se souvient Pougatchev. Les négociateurs auraient commencé à mettre en avant leurs liens avec le FSB et à menacer le banquier de poursuites pénales et de la mise sous séquestre de ses biens personnels. Toutes ces menaces ont été réalisées, reconnaît Pougatchev.
20 millions de dollars pour le colonel Cherkalin
La réunion sur le yacht s’est terminée sans aboutir. Selon Pougatchev, pendant environ un an, ses avocats et les représentants de Miroshnikov ont continué à discuter des détails d’un éventuel accord. Et en 2012, le colonel du FSB, Kirill Cherkalin, qui avait supervisé les crimes liés au secteur bancaire, aurait eu connaissance des négociations.
Par l’intermédiaire des agents de sécurité de Pougatchev, il l’a informé de la poursuite des poursuites pénales. Et aurait proposé de ne pas continuer l’affaire pour 20 millions de dollars, dit Pougatchev. L’ancien banquier a refusé, après quoi Cherkalin aurait uni ses forces à Miroshnikov. En conséquence, comme pense Pougatchev, il est devenu la personne impliquée dans l’affaire de faillite criminelle Mezhprombank.
Miroshnikov a mis fin aux négociations avec Pougatchev après avoir appris que l’ex-banquier avait engagé une procédure pénale contre lui. En 2011, Pougatchev a déposé en France une déclaration sur l’extorsion de fonds et les menaces de mort qu’il avait rencontrées dans le pays. La déclaration s’appuyait sur les événements survenus sur le yacht en juin 2011. Dans une déclaration, Pougatchev appelle Bashmakov et Dunaev « les hommes de main » Miroshnikov, qui aurait menacé l’ancien sénateur de représailles contre lui et ses proches s’il ne payait pas 350 millions de dollars.
L’affaire pénale a été ouverte en 2013 et fait toujours l’objet d’une enquête, selon M. Pougatchev. Et il s’attend à ce que des audiences soient programmées d’ici la fin de l’année. Selon lui, Miroshnikov a tenté de s’entendre avec lui sur le retrait de la demande. L’ancien chef adjoint de la DIA aurait continuer « à ce que je ne l’oublie pas », a déclaré Pougatchev, convaincu que Miroshnikov ne lui avait pas pardonné son intraitabilité et que son cas était sous son contrôle personnel.

Le litige à Londres

Le fondateur de Mezhprombank est devenu le premier banquier à accuser ouvertement Miroshnikov d’extorsion de fonds. Cela s’est passé en 2014 dans le cadre de la procédure devant la High Court of London, où l’ex-sénateur a contesté le gel de ses avoirs suite à la demande de la DIA. Puis le témoignage de Pougatchev a été exprimé par son avocat.
Ceux qui n’aiment pas «la position active du personnel de la DIA en matière de recherche ou de restitution d’avoirs» ont fait état de nombreuses cas de corruption au sein de la DIA, a indiqué Miroshnikov dans son témoignage qu’il a présenté à la Haute Cour de Londres en octobre 2014 (Forbes en a une copie). L’ancien directeur a confirmé qu’il connaissait Khechoyan, Bashmakov et Dunaev, mais a nié les avoir autorisé à agir en leur propre nom ou au nom de la DIA. Miroshnikov a déclaré que les accusations d’extorsion étaient des calomnie et mensonges.
Miroshnikov a également nié que tout ceci soit politiquement motivé contre de Pougatchev. La Haute Cour de Londres n’a pas cru à la mauvaise fois de la DIA et a arrêté les biens de l’ancien sénateur. En 2017, la DIA a commencé à vendre les actifs de Sergueï Pougatchev.

Le téléphone portable de Miroshnikov était éteint vendredi.

Le banquier Sergueï Pougatchev s’est plaint à Vladimir Poutine des menaces reçues de Mirochnikov en cavale

Selon les informations de The Bell, l’ancien propriétaire de Mezhprombank Sergueï Pougatchev avait déjà adressé, au mois de novembre 2014, une lettre à Vladimir Poutine, dans laquelle il affirmait être victime de menaces et tentatives d’extorsion de la part de Valériy Mirochnikov, l’ex-vice-directeur de l’Agence de garantie des dépôts (ASV), et des adjoints de ce dernier.

La semaine passée Mirochnikov a démissionné de son poste dans le cadre de l’affaire de Kirill Tcherkaline, colonel du FSB. Ce dernier avait été arrêté en avril, avec en sa possession 12 milliards de roubles en cash. Après sa démission, Mirochnikov a quitté la Russie.

Lettre à Poutine. La lettre de Pougatchev adressée à Poutine (dont The Bell a pu obtenir une copie), fait partie des pièces de l’affaire actuellement examinée par la Cour d’arbitrage de La Haye. La cour a été saisie en septembre 2015 par Sergueï Pougatchev, qui a introduit une demande en arbitrage contre la Fédération de Russie pour un montant de douze millards de dollars. La première audience s’est tenue le 13 février 2017. L’ex-banquier accuse, entre autres, la Fédération de Russie de l’avoir contraint à conclure des marchés à des conditions défavorables et d’avoir spolié ses actifs.

Dans sa lettre Pougatchev identifie Valériy Mirochnikov, désormais l’ex-vice-dirigeant d’ASV, comme “l’acteur principal” de la campagne menée contre lui après le retrait de la licence bancaire de Mezhprombank et le passage de la banque sous la tutelle d’ASV.

Extrait. “Je dispose d’informations véridiques sur de nombreuses exactions dont il [Mirochnikov] est l’auteur”, écrit Pougatchev. “La plus scandaleuse parmi celles-ci est la tentative d’extorsion à mon égard, menée par un groupe organisé d’employés d’ASV et leurs complices, qui ont tenté de m’extorquer personnellement 350 millions de dollars, sous la menace de représailles physiques et de poursuites judiciaires contre moi-même et les membres de ma famille, qu’ils comptaient mener  à bien grâce à leurs relations corrompues au Comité d’enquête.”

Dans sa lettre Pougatchev indique comme motif de Mirochnikov “les crimes commis antérieurement dans un but d’enrichissement personnel”.

Dans son entretien avec The Bell Pougatchev a confirmé avoir rédigé la lettre en question et l’avoir transmise à Vladimir Poutine par le biais d’un intermédiaire désigné par le président. La lettre aurait été remise à ce dernier en main propre, affirme l’ex-banquier.

Le porte-parole du président Poutine, Dmitriy Peskov, n’a pas souhaité faire de commentaires à The Bell.

 

“350 millions ce n’est pas un prix si élevé pour votre vie”. La nature et les auteurs des menaces adressées à Pougatchev

 

Les menaces adressées à Pougatchev sont décrites dans une autre requête (dont The Bell dispose également d’une copie), introduite en 2013 auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Dans cette requête Sergueï Pougatchev expose les “faits d’enlèvement, menaces de mort, extorsion et escroquerie”. L’ex-propriétaire de Mezhprombank met en cause plusieurs individus, dont Mirochnikov lui-même, l’ancien employé d’ASV Aleksandr Dounaïev et un certain Mikhaïl Bachmakov, qui, selon Pougatchev, aurait également des liens avec l’Agence. La requête affirme que ces personnes auraient adressé des menaces mort et de représailles à Pougatchev. Sergueï Pougatchev a également mentionné ces menaces dans un entretien accordé hier à l’édition russe de Forbes. Les individus susmentionnées ont été désignés comme suspects dans l’affaire pénale instruite en France, a affirmé Sergueï Pougatchev dans l’entretien avec The Bell.

La requête offre aussi une description de la première entrevue entre Pougatchev, d’une part, et Bachmakov et Dounaïev, d’autre part, qui a eu lieu le 3 juin 2011 à bord d’un yacht au large des côtes françaises, après que la licence de Mezhrpombank a été retirée et que Pougatchev a fui la Russie.

C’est lors de cette entrevue que les interlocuteurs d’ASV, aux dires de Pougatchev, l’auraient menacé en ces termes: “350 millions ce n’est pas un prix si élevé à payer pour votre vie et la vie de vos proches”.

“Ce n’était pas une conversation civilisée mais d’authentiques menaces”, raconte Sergueï Pougatchev. “Ils m’ont promis de m’envoyer un doigt de mon fils, directement sur mon yacht. J’étais là quand ils ont appelé Mirochnikov au téléphone; il le tutoyaient et l’appelaient par son prénom, ils étaient à l’évidence très liés.” Il signale par ailleurs que Bachmakov et Dounaïev lui ont plusieurs fois indiqué qu’ils avaient des relations au FSB.

La requête de Sergueï Pougatcehv cite les propos de ses interlocuteurs sur le yacht: “Vos enfants habitent à l’étranger, à Monaco, à Londres et à Paris, et vous vous imaginez sans doute que vous êtes hors d’atteinte”, aurait dit l’un d’eux.

La requête indique que Pougatchev a été menacé de mort sur son yacht s’il refusait de payer 350 millions de dollars à Mirochnikov et à Roman Trotsenko (qui occupait à l’époque le poste de président des chantiers navals d’Etat Obiédinennaïa sudostroitelnaïa kompania; cette société était en train de racheter à la Banque centrale les chantiers ayant appartenu à Mezhprombank – note de la rédaction). A la date de la présente publication Trotsenko n’a pas pu être joint par téléphone ou SMS par le correspondant de The Bell.

Dans l’entretien avec The Bell Sergueï Pougatchev donne son interprétation de la proposition qui lui avait été faite. Il était convenu avec la Banque centrale et le gouvernement de la cession de ses actifs navals. Plusieurs scenarios étaient envisagés: on lui proposait, par exemple, d’acquérir une banque de taille moyenne, à laquelle la Banque centrale aurait octroyé un prêt d’un montant correspondant à la valeur des actions détenues; la banque aurait fait défaut sur le prêt, et l’affaire était réglée. Mais en fin de compte le plan a changé: il a été décidé d’octroyer un prêt à Mezhprombank, dont Pougatchev devait se porter caution, avec un nantissement de ses actifs navals en garantie. L’estimation de la valeur des actifs était régulièrement revue; le montant retenu en fin de compte était de 3,5 milliards de dollars.

Presqu’aussitôt après la conclusion de l’affaire Mezhprombank a perdu sa licence et, à l’issue de plusieurs actions en justice, les actifs nantis ont été mis en recouvrement. Les 350 millions de dollars devaient être, selon Pougatchev, une rémunération versée à ASV et à Mirochnikov pour qu’ils contestent la transaction. Pougatchev a refusé de payer, pour la raison qu’ils “devaient contester la transaction de toute manière, c’est leur travail”. Selon lui, si la transaction avait pu être contestée, une partie des actions serait restée acquise à la Banque centrale au titre de la dette de Mezhprombank, mais le reste aurait été reversé à la masse de faillite, et il en aurait “recouvré au moins une partie en tant que garant”. “Leur proposition c’était comme s’ils m’avaient dit: tu as pour cent mille dollars de mobilier dans ton appartement; tu nous donnes dix pour cent, et on ne va pas incendier ton appartement”, explique l’ancien banquier. “Ils ne me proposaient pas un marché, ils ne garantissaient rien, il voulaient simplement extorquer de l’argent.”

Selon Pougatchev, il aurait appris l’identité de Mirochnikov un an seulement avant l’épisode sur le yacht; ils ne s’étaient jamais croisés auparavant. Après le retrait de la licence bancaire de Mezhprombank Pougatchev a commencé à recevoir des coups de fil d’ASV lui proposant de rencontrer Mirochnikov, raconte le banquier à The Bell.

Pougatchev aurait laissé toutes ces propositions de “coopération” sans réponse.

Bachmakov et Dounaïev ont été mis en examen en 2012 dans une affaire à retentissement impliquant la vente d’immeubles historiques dans le centre de Moscou. Le montant total des fonds détournés était estimé à 10 milliards de roubles. Bachmakov occupait à ce moment-là un poste à l’Agence de garantie des dépôts, et Dounaïev était directeur de l’entreprise de gestion Proïekt; d’après l’enquête ils se seraient approprié 120 immeubles et bâtiments, dont 28 étaient classés monuments historiques. Presque tous les prévenus ont d’abord été placés en détention; certains, dont Dounaïev, étaient recherchés. Toutefois deux ans plus tard, en 2014, le tribunal a retourné l’affaire à la Procurature et les prévenus ont été libérés. Malgré cela Aleksandr Dounaïev, contre lequel un avis de recherche international avait été lancé, a été arrêté en Israël.

 

“Encore un émissaire de Mirochnikov”: une conversation à Paris

 

Une autre personne figure également dans les pièces fournies au Tribunal de Paris et à la Haute Cour de Londres: un certain Gore Khétchoïan, homme d’affaires, que Pougatchev désigne comme un “émissaire de Mirochnikov”. Selon Pougatchev c’est l’ancien vice-maire de Moscou, Vladimir Réssine, député de la Douma à l’époque des faits, qui lui aurait conseillé par téléphone de rencontrer Khétchoïan. C’est précisément Khétchoïan qui a organisé l’entrevue qui eut lieu sur le yacht: en mai 2011 il est venu en France et a promis à Pougatchev d’organiser une rencontre avec Mirochnikov. Mais le jour indiqué c’est Dounaïev, Bachmakov et Khétchoïan lui-même qui se sont présentés.

En janvier 2012 Pougatchev et Khétchoïan se sont revus, cette fois-ci à l’hôtel George V à Paris à quelques centaines de mètres de l’Arc de Triomphe. Khétchoïan est revenu à la question des 350 millions au nom d’ASV. L’enregistrement de cette conversation (dont The Bell dispose également) fait aussi partie des pièces a conviction dans l’affaire diligentée contre Mirochnikov en France. En voici un extrait:

Sergueï Pougatchev (SP): Ecoute, j’ai une question pour commencer. […] Ce Micha, qui est-ce?

Gore Khétchoïan (GK): Bachmakov, […] d’ailleurs c’est son sobriquet “Bachmak”.

SP: Et qui est-il? Il est employé là-bas [à ASV]?

GK: Oui, officiellement. […] Le deuxième qui était là, c’est Sacha Dounaïev. Dounaïev, c’est une sorte de structure qui leur sert à évacuer les actifs. […] Ils y ont une société, bien établie […] pour ce que j’en ai compris, ils passent en revue les banques, puis, parfois, ils les escroquent.

SP: Oui, je comprends. Un petit business, pour ainsi dire.

GK: Donc on a les protagonistes, d’accord? Ça c’est Marina [Zinoviéva, adjointe du vice-directeur d’ASV à la date des faits] et Valéra [Valériy Mirochnikov].

SP: Et ces gars-là [Dounaïev et Bachmakov], c’est Valéra qui les contrôle, ou bien non?

GK: Oui, eux c’est Valéra.

 

“Les personnes indéterminées pourraient être déterminées rapidement”. Apparition du colonel du FSB Tcherkaline

 Actuellement Khétchoïan, qui a été déclaré en faillite il y a peu, dirige l’équipe de basketball “Dynamo” (traditionnellement associé au FSB); le conseil de surveillance de “Dynamo” compte parmi ses membres Nikolaï Patrouchev (directeur actuel du FSB – note du traducteur). Mais les liens de Mirochnikov avec les services ne se limitent pas à cela, selon l’avis de Sergueï Pougatchev. Assez rapidement après l’entrevue sur le yacht, en 2012, les représentants de Pougatchev à Moscou ont été contactés par des membres de la section “K” du FSB. Aux dires de Pougatchev il y avait parmi eux Kirill Tcherkaline et Dmitry Frolov (les deux ont été placés en détention en avril de cette année dans le cadre d’une affaire d’escroquerie à grande échelle et de corruption). Quant à Mirochnikov, immédiatement après l’arrestation de Tcherkaline il a quitté la Russie.

Extrait: “A l’époque une enquête pénale avait été ouverte pour détournement des fonds de Mezhprombank contre un groupe de personnes indéterminées. On m’a clairement fait comprendre que ces personnes indéterminées pour être déterminées très rapidement et que je pourrais en faire partie”, raconte Pougatchev.

On aurait fait voir au représentant de Pougatchev, selon ses propres dires, “un projet de plainte pénale, où il ne restait plus qu’à inscrire la date et apposer une signature”. Pour que cela ne se produise pas, les gens du FSB auraient réclamé 20 millions.

Pougatchev déclare avoir refusé de payer et, en conséquence, il a été effectivement mis en examen dans l’affaire de faillite de Mezhprombank. En outre, dans ses conversations avec les représentants de Pougatchev Tcherkaline aurait mentionné Mirochnikov, en faisant référence à “Valéra et moi”; mais il aurait également sous-entendu que, tout en étant liés, ils pouvaient, en cas de besoin, agir indépendamment l’un de l’autre.

Dans son entretien avec The Bell Pougatchev a ajouté que de telles propositions de la part de Tcherkaline ont continué à lui parvenir jusqu’à récemment.

“Les dépositions de Pougatchev ne contiennent pas un gramme de vérité”. Témoignages de Mirochnikov devant la justice

Mirochnikov a témoigné devant la cour de Londres (dépositions dont dispose The Bell). Il y a affirmé que les “dépositions de Pougatchev ne contiennent pas un gramme de vérité”. Toutefois, de son propre aveu, Mirochnikov aurait bien rencontré Khétchoïan au sujet d’un “éventuel rachat et utilisation des actifs versés à la masse de faillite de la banque gérée par ASV”. Mais ces entrevues étaient sans aucun rapport avec Pougatchev, a-t-il affirmé. Mirochnikov a également confirmé connaître personnellement Bachmakov et Dounaïev. En revanche ASV n’aurait jamais envoyé Bachmakov en mission à l’étranger (où a eu lieu l’entrevue sur le yacht); quant à Dounaïev, Mirochnikov n’a pas été en contact avec lui depuis “plus de deux ans”. Ainsi, en octobre 2014 Mirochnikov a déclaré au tribunal qu’il ignorait tout de leurs négociations avec Pougatchev.

Après la démission et le départ à l’étranger de Mirochnikov, ce dernier est resté injoignable par téléphone. Selon les données publiées par Kommersant, Mirochnikov serait mis en examen dans l’affaire du colonel du FSB Kirill Tcherkaline, ce dernier ayant été arrêté au mois d’avril en possession de la somme de 12 milliards de roubles en espèces. Il est mis en examen pour escroquerie à grande échelle.

 

La faillite de Mezhprombank et les accusations portées contre Pougatchev

En 2010 Mezhprombank s’est vu retirer sa licence bancaire, et Pougatchev a fui la Russie.

D’après l’enquête, les prêts octroyés à Mezhprombank par la Banque centrale pour un montant de 32 milliards de dollars auraient été détournés à travers un montage de sociétés off-shore (Pougatchev, lui, affirme avoir uniquement transféré ses propres fonds depuis son compte correspondant à la banque VTB et conteste également le montant en cause).

A la suite d’une requête introduite par ASV, le tribunal de commerce de la ville de Moscou a condamné Pougatchev et les ex-gérants de la banque à la responsabilité subsidiaire pour le passif de Mezhprombank pour un montant de 76 milliards de roubles.

Le comité d’enquête a accusé Pougatchev de détournement de fonds à grande échelle et d’abus de pouvoir. Sergeï Pougatchev est recherché par la justice et condamné à une peine de prison par contumace.

A la suite d’une requête introduite par ASV devant la Haute Cour de Londres, la justice anglaise a ordonné le gel des avoirs internationaux de Pougatchev pour un montant de 2 milliards de dollars; certains de ces avoirs ont déjà été vendus. Ainsi, par exemple, en 2018 le tribunal a ordonné la saisie de l’hôtel particulier de Sergueï Pougatchev à Londres, estimé à près de 9 millions de livres sterling. ASV affirme que le produit a été versé dans la masse de faillite.

Le tribunal a également assigné Pougatchev à résidence en Angleterre et Pays de Galles, mais Pougatchev a pu quitter le territoire britannique pour la France. Il explique sa fuite par le danger de mort auquel il était exposé en Angleterre. La Haute Cour a également condamné Pougatchev à deux ans d’emprisonnement pour outrage au tribunal.

 

Quelle suite?

 Les pièces de l’affaire “française” contre Mirochnikov et les autres représentants d’ASV sont actuellement examinées par le juge d’instruction (l’équivalent français de l’enquêteur en Russie), rapporte Pougatchev. Il dit qu’en septembre 2019 la commission d’enquête doit décider de renvoyer ou non l’affaire devant le tribunal; le cas échéant, Mirochnikov risque d’être requalifié en suspect.

A la fin de la lettre adressée à Poutine, Pougatchev mentionne que les liens personnels de longue date qui l’unissent au président russe sont “l’unique recours pour garantir une enquête équitable en Russie”. En réalité la lettre n’a rien changé à l’affaire, avoue Pougatchev. Elle est restée sans réponse.

La prochaine audience à La Haye dans l’affaire d’arbitrage est prévue pour le mois de novembre 2019.

 

Anastasia Stogney, avec Valéria Pozytchaniouk